Gouffre de la Pierre Saint-Martin PyrénéesParce que l’exotisme n’est pas forcément synonyme de palmiers et sable blanc, et que nous sommes entrés ce week-end en heure d’hiver, je vous propose ce matin une échappée en France, dans les Pyrénées Atlantique. Près de chez vous, peut-être ?… Mais sans doute n’avez-vous jamais vu les Pyrénées comme je les ai vécues il y a près de trois ans. Vous le savez déjà, je ne suis pas fan de conduite en 4×4. Mais suivez-moi tout de même…

Francis Le Guen en plongée spéléo dans les Pyrénées

Depuis deux mois nous tournons les épisodes d’une série intitulée La Route de l’Eau, quinze épisodes de 26 minutes diffusés sur France 3 Régions, dont l’Homme est l’auteur et l’animateur. Ce qui nous amène à sillonner la France en voiture pour rencontrer, découvrir, et plonger en eau douce. Par un beau jour de novembre 2004 après que l’Homme eût exploré les dessous de la Nive (photo ci-dessus), nous rejoignons un nouveau site de tournage et nous faisons halte pour la nuit du côté d’Oloron Sainte-Marie. L’équipe de production nous a réservé un gîte de France : l’accueil des propriétaires est charmant et la chambre lambrissée de pin et décorée Laura Ashley, so british, plutôt douillette. Mais la chambre du réalisateur est de l’autre côté de la cloison et nous l’entendons téléphoner, ce qui signifie qu’il nous entend bavarder. Au mieux !…

Le lendemain, il pleut dru ! Désappointement puisque nous nous rendons au gouffre de la Pierre Saint-Martin, site célèbre s’il en est pour détenir la plus grande cavité souterraine d’Europe. Mais le gouffre se mérite : en février dernier, dans la neige jusqu’aux genoux, nous avions réussi à grand-peine à hisser le 4×4 jusqu’à mi-hauteur de la montagne, puis à grimper le reste à l’aide d’un quad local qui nous prêtait assistance. Enfin nous avions attaqué un raidillon à 45°, en grosses chaussures de marche, tenue de neige et tout le matériel sur le dos pour accéder à la petite cabane qui sert de relais avant d’entrer dans le tunnel d’accès, long d’une centaine de mètres, noyé jusqu’à mi-mollets dans une eau de pluie stagnante (et gelée !). Récompense, la salle de la Verna offre sa démesure à qui sait en éclairer l’intérieur d’un noir d’encre…

Pour cette expédition-ci, nous n’avons aucune assistance : ni guides (ils étaient deux la dernière fois), ni 4×4 supplémentaire (il y en avait un de plus), ni quad… L’Homme et moi avons tout de même prévenu l’équipe la veille qu’ils allaient devoir traverser le tunnel sur d’anciennes traverses de chemin de fer, les pieds dans l’eau sur une centaine de mètres. Ils ont donc acheté des bottes en urgence. Nous nous souvenons de la difficulté d’accès, mais je ne suis pas certaine qu’ils nous aient vraiment pris au sérieux…

A l’approche du chemin qui mène à la montagne je cède le volant à l’Homme qui est beaucoup plus expérimenté que moi en conduite 4×4, et il attaque vaillamment le chemin de terre et cailloutis en lacets. En février, à la descente, j’avais vécu l’une de mes plus grosses frayeurs en voiture : les 2 tonnes du 4×4 glissaient littéralement sur la neige verglacée et nous ne voyions pas les trous sous la neige… Même l’Homme avait frémi une fois ou deux.

4x4 Toyota sur les routes enneigées des Pyrénées

(ci-dessus en février 2004, aux abords de Sainte-Engrace)

Cette fois, dès les premiers cent mètres, je pressens que ce sera certainement aussi difficile : il pleut toujours, le chemin de terre se transforme en lit de boue, et même à la montée, la voiture glisse parfois comme un pied sur une savonnette… Le réalisateur et l’éclairagiste stationnent leur véhicule léger plus bas et ils nous rejoindront à pied. L’expérience de l’Homme nous permet de grimper tout de même, encore et encore. Plus haut, j’ai l’intuition qu’il a dépassé l’aire de stationnement qu’on nous avait indiquée la dernière fois et le lui signale. Mais dans le désir de transporter le matériel et les hommes le plus haut possible afin de limiter les efforts, l’Homme continue à grimper… Jusqu’à un virage doté d’une ornière particulièrement agressive et glissante qui l’empêche de poursuivre. Il fait alors demi-tour avec l’aide de l’un des deux techniciens que nous avons pris à bord et qui le guident afin d’éviter le ravin sous l’herbe mouillée. L’Homme se gare dans le virage précédent et nous nous équipons : tenue de spéléo pour moi (au moins je serai au sec cette fois !), bottes en caoutchouc, sac à dos dans lequel l’Homme ajoute tout le nécessaire de survie en cas de pépin : une lampe torche supplémentaire, une bouteille d’eau, la couverture de survie.

L’équipe continue à plaisanter en attaquant le reste de la route à pied, chargée du matériel de tournage. Moi, je songe avec inquiétude à cette pluie qui ne s’arrête pas et aux grosses ornières que l’Homme a réussi à négocier à l’aller tout en murmurant que la descente ne serait pas simple… Nous utilisons notre véhicule personnel dans le cadre du tournage, et nous avons à bord tout le matériel de tournage (en plus de notre équipement personnel) et les deux techniciens les plus costauds (ils font bien 200 kg de plus à l’arrière du 4×4). Sur une ornière plus profonde, nous avons entendu un gros crac côté porte arrière… Quand le réalisateur nous a rejoint, il nous a signalé avoir remarqué sur le chemin une pièce de carrosserie qui pourrait bien nous appartenir…

Nous grimpons à pied sur ce chemin de boue pendant une bonne heure, jusqu’à ce que le réalisateur admette que nous aurions du avoir un guide pour nous indiquer la bonne route : nous avons raté la bifurcation qui mène au raidillon d’accès au tunnel et, malgré tous nos efforts, nous ne réussissons pas à la trouver. Il est déjà 11:00 et notre planning est serré, nous devons encore prendre le temps de redescendre et ça m’inquiète ! Demi-tour !

Parvenus à la voiture, nous nous déséquipons tous, trop heureux d’ôter les bottes boueuses et les vêtements de pluie. Je réintègre bêtement mes petites tennis blanches et m’efforce de ne pas exprimer mon inquiétude sur l’aptitude du 4×4 à nous redescendre sains et saufs. Pourtant, dès les premiers trente mètres, la première difficulté surgit : le 4×4 glisse et s’engage irrépressiblement dans une ornière boueuse.

L’Homme recule, négocie une fois, puis deux, et glisse chaque fois davantage. Il descend de voiture, inspecte le tronçon de route devant nous, dégage un gros rocher pour élargir un peu la voie côté montagne et me jette un regard dubitatif en remontant en voiture. Consciente des 200 kg à l’arrière, je lui propose qu’on descende de voiture. Soucieux de pouvoir se concentrer tranquillement sur la meilleure façon de négocier ces difficultés, il accepte et nous descendons tous les trois de la voiture, en tee-shirts et chaussures légères. Nous restons prudemment derrière la voiture et lorsque l’Homme descend, centimètre par centimètre, sur cette pente abrupte, je croise les doigts pour que la voiture n’aille pas verser dans le ravin et lui avec !

Puis il accélère subitement, oriente la voiture vers le flanc de la montagne et je vois le 4×4 pencher dangereusement sur sa gauche, le nez en l’air, ses grosses roues arrachant la lourde carcasse noire aux succions de la boue vicieuse ! Mes entrailles se nouent, ma respiration se bloque, et le temps suspend son vol un instant ! Un mètre plus loin, l’Homme peut freiner en douceur : il a passé le premier obstacle, l’ornière traître a été vaincue !

Nous le rattrapons à pied, solidaires des difficultés et pensant remonter en voiture, mais l’Homme décide de poursuivre seul et nous le suivons à distance, en trottinant dans la boue au gré de son avancée laborieuse. Plusieurs fois, à l’approche des ornières les plus risquées, je le vois descendre du 4×4 pour estimer la difficulté et définir sa manoeuvre. Plusieurs fois, je vois le 4×4 chasser de l’arrière et je flippe littéralement pour mon Homme à bord de cette structure métallique qui résiste vaillamment malgré quelques cliquetis indéfinis et craquements inquiétants. Une centaine de mètres plus bas, nous rejoignons enfin la partie de route caillouteuse qui est plus adhérente, nous remontons à bord et l’Homme avoue s’être fait peur trois ou quatre fois. La descente a duré près d’une heure…

Au village de Sainte-Engrace, point de départ de cette excursion improbable, nous constatons que le marche-pied est endommagé, il faudra le remplacer. Une pièce de carrosserie dissimulant les amortisseurs s’est désolidarisée et il nous est impossible de la réemboîter correctement, nous ferons réparer. Quelques rayures sur la carrosserie noire attestent du frottement agressif des branches d’arbres. Et nous sommes tous les six déçus de n’avoir pas eu la récompense, après tous ces efforts, d’accéder à la salle de La Verna comme en février dernier où nous avions tourné une bien belle séquence…

Francis Le Guen dans la grotte de la Pierre Saint-Martin, Pyrénées

Et pour la seconde fois en six mois, je me promets de ne plus jamais revenir ici !

(extrait de mon journal, novembre 2004)

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