Botswana, navigation dans les papyrus du delta de l’Okavango © Marie-Ange Ostré

3 décembre 2006, au Botswana : c’est l’anniversaire de mon père ! Mais je ne peux pas l’appeler : ici au beau milieu du delta de l’Okavango, oubliez votre téléphone mobile, seuls les téléphones satellites fonctionnent, et encore…

Nous sommes au coeur d’un patrimoine mondial naturel de l’UNESCO (voir sa fiche ici). Un site unique.

J’ai peu dormi, deux ou trois moustiques faisant bombance sous la tente, et j’assiste au lever du jour qui filtre à travers la moustiquaire. Simultanément, des dizaines d’oiseaux se souhaitent le bonjour. Ambiance !

Nous sommes au cinquième jour du tournage du film consacré à l’Afrique australe. Le camp s’éveille doucement et nos guides Sud-Africains commencent déjà à ranger le matériel utilisé, avant de nous réveiller. Je file à l’espace toilettes pour dames, et j’en profite : pendant la semaine à venir il ne faudra pas compter sur la moindre douche et je vais devoir partager la rivière avec les crocos et les hippos, charmante compagnie…

Une heure plus tard le petit déjeuner est servi, roboratif : céréales, toasts grillés, confitures, steaks burgers aux herbes et oignons (délicieux, même à 7h du matin), lard frit, œufs poêlés et… haricots blancs à la tomate. L’impression d’être plutôt au Texas qu’au Botswana.

Nous filons rapidement pour tourner une séquence de lâcher de croco : les scientifiques qui étudient ici le comportement des crocodiles de l’Okavango en ont attrapé un hier soir d’1,60m et après avoir fait quelques prélèvements, ils doivent le remettre à l’eau. Nous partageons donc notre barge métallique avec trois sauriens dont le plus gros pèse déjà 13 kg. René, Francis et Gérald se mettent à l’eau pour filmer les crocos dans leur milieu naturel et nous ne sommes guère rassurés : c’est ici qu’hier ils ont aperçu un spécimen de 4 mètres, gueule béante sous le soleil… Dans l’eau la visibilité ne dépasse pas 1,80m et les scientifiques ont un mauvais pressentiment : nos plongeurs ne s’attardent pas.

De retour au camp nous allégeons nos bagages pour ne garder avec nous que l’essentiel pour un bivouac de quatre jours dans le delta. Puis Pierre Stine, notre réalisateur, installe la grue pour filmer notre départ sur l’un des bras du fleuve. Il faut attendre 11h30 pour que tout le matériel soit chargé sur les trois barges et que Pierre puisse tourner sa séquence, puis attendre de nouveau que la grue soit démontée et chargée à côté de la cage anti hippos et nous partons enfin vers Xijera. On nous annonce six heures de bateau, et il est déjà midi et quart sous un soleil implacable.

Nous glissons sur l’eau à une allure de croisière, alourdis par notre chargement, traversant un paysage serein de marais, papyrus et nénuphars blancs et bleus. Parfois des grues blanches ou noires s’envolent sur notre passage et un martin-pêcheur nous passe sous le nez. Au loin deux aigles sont en vol stationnaire au-dessus d’une proie potentielle… Soudain une paire d’yeux émerge à ras de l’eau : mon premier hippopotame !… Je suis enthousiaste, et mes collègues aussi, jusqu’à ce que notre pilote botswanais réduise un peu les moteurs pour effectuer une large boucle afin d’éviter l’animal posté dans le virage. Il n’a aucune envie de l’approcher de trop près, les hippos étant de fervents adeptes du retournement de bateau ! Une précaution qui nous rappelle à l’ordre…

Bientôt nous entrons dans un dédale vert dont nous sous-estimons l’impact sur notre bonne volonté…

Le bateau de tête étant parti avec la glacière de sandwiches, à 15:00 nous crevons littéralement de faim, discrètement, chacun dans notre coin mais tous ensemble. Une heure plus tard nous nous engageons dans un bras de rivière plus étroit pour accoster au village de Segoupa où nous rejoint enfin la glacière avec un réconfortant déjeuner de rye bread (pain brun) au jambon. Et contrairement à mes habitudes, je me laisse aller à l’exotisme d’un Fanta (pouah…). Vous me permettrez aussi de souligner que je me suis retrouvée au commissariat dans ce village du bout du monde : il possédait les seules toilettes disponibles dans un endroit où je ne trouvais aucune intimité, chaque tronc d’arbre étant à portée de regards alentours et de nombreux villageois étant venus nous saluer… Sympas les policiers au large sourire !

Nous reprenons très vite la rivière pour voguer vers notre prochaine étape. Quand nous interrogeons notre pilote, il nous répond « oui, dans deux heures« . Il est 17:00, les ombres s’allongent, le soleil baisse et la chaleur devrait en faire autant. Mais le souffle chaud et sec du vent léger sur le marais nous mord au visage. Méfiante, je porte un tee-shirt à manches longues, un pantalon et mon chapeau de brousse. Parfois je me couvre le visage avec mon paréo pour éviter une trop vive brûlure. Il n’a pas plu depuis cinq jours dans la région alors que nous sommes en début de saison des pluies…

Une mauvaise estimation du temps de trajet ne prenant pas en compte notre tonne de bagages et matériel fait grimacer Pierre ; il estime qu’avec cette allure d’escargot nous n’atteindrons notre camp de base qu’aux alentours de minuit mais le pilote ne peut forcer les moteurs. Il nous explique aussi que le trajet de nuit se fera à allure encore plus réduite du fait d’un cheminement à travers des marais peuplés de papyrus.

17:30, le ciel se couvre à l’horizon face à nous, en de larges bandes gris bleu sur le tapis vert du marais qui ondoie doucement sous une légère brume de chaleur. Quelques rayons derrière les nuages scient le ciel tel un vaste parapluie. La chaleur commence enfin à baisser et je relève mes manches. Parfois, lors du passage d’une autre barge, l’eau prend les plis d’un drap de satin lourd et doux. Satin de verre ou verre satin ?… A 18:30 on nous annonce encore cinq heures de bateau !

Le trajet est loin d’être déplaisant mais nous perdons du temps sur notre planning et nous savons que nous ne le rattraperons pas. Pour se faire pardonner de cette erreur d’estimation, nos guides nous promettent que les tentes seront montées et qu’un feu de camp sera dressé pour notre arrivée. Mais je sais que les saucisses de notre dîner sont dans la glacière, celle qui se trouve sous mes pieds… Alors je doute un peu de cette efficacité annoncée, tandis que la lune monte doucement dans le ciel.

Bientôt nous entrons dans un dédale vert dont nous sous-estimons l’impact sur notre bonne volonté : nos trois barges se faufilent maintenant les unes derrière les autres, lourdement chargées, évitant autant que possible le rideau inextricable de papyrus qui se dresse devant nous et que nos pilotes percent malgré tout avec une habileté déconcertante. Au cours de la première heure nous jouons un peu avec les papyrus, cherchant à comprendre si c’est du pollen ou des fleurs fanées qui nous tombent dessus comme autant de poussière de sable envahissante et accompagnée de tout son cortège de petits insectes : je m’amuse à photographier de petites araignées et des mantes religieuses sans doute surprises d’avoir atterri sur le bras de l’Homme. A un moment c’est l’ombre d’un crocodile de 2 à 3 mètres qui disparaît sous notre barge à notre passage…

Il fait nuit maintenant, et les bruits ont changé : quelques cris d’oiseaux nocturne, des animaux qui se jettent à l’eau sur notre passage sans que nous puissions les voir, et le bruissement des moustiques,…

Lorsque nous abordons une rive à peine dégagée sur deux mètres pour permettre à ces messieurs un légitime arrêt pipi, j’entends le souffle proche d’un hippo. Un instant plus tard Francis attire notre attention sur une odeur fortement musquée portée par une légère brise, les effluves d’un fauve ! Il ne faut que trois secondes et demie pour qu’ils regrimpent tous à bord et que le pilote lance le moteur pour reprendre notre avancée dans la forêt de papyrus.

Mais bientôt il n’est plus temps pour nous de bavarder : il est 22:30, nous sommes tous hébétés par la chaleur qui a régné toute l’après-midi sur cette barge, avec la réverbération du soleil sur nos peaux encore peu habituées au climat local, et nous avons renoncé depuis un moment à repousser les tiges de papyrus qui nous giflent inlassablement. Certains se sont allongés sur le sol de la barge, d’autres sur les banquettes étroites. J’ai prêté mon paréo à Gérald qui n’avait pas d’autre vêtement disponible pour se protéger des bestioles qui nous tombent dessus en masse, René a fini par enfiler carrément sa combi de plongée et je me suis enfouie dans mon K-Way, couchée sur mon sac de voyage qui se trouve à bord et le chapeau cachant mon visage : mais une chenille trouve son chemin et me mord au cou ! Quand je relève la tête je constate que mes collègues sont couverts de poudre de papyrus et s’ils ne dorment pas, ils en donnent l’impression. Notre pilote lui se bat vaillamment contre le mur végétal et je me demande comment il peut reconnaître son chemin dans un tel labyrinthe. Par moments, il est obligé de stopper les moteurs quand les hélices sont trop prises dans les racines de papyrus. Il faut alors l’aider à écarter les papyrus en surface pour permettre au bateau de repartir tandis qu’il ôte les tiges par poignées.

Enfin nous arrivons à un camp dressé par trois guides locaux qui vont passer la semaine avec nous. Le camp de base a été avancé, notre progression étant trop lente pour atteindre ce soir notre destination finale. On nous accueille le long d’une rive avec des lampes tempête indiquant le chemin vers le groupe de six tentes. Un feu de bois n’attend plus que les saucisses et les brochettes, une petite atmosphère Tarzan flotte dans l’air…

Des toilettes ont été installées un peu à l’écart, mais Chris Brooks nous briefe tout de suite sur les dangers des promenades nocturnes : à 80 mètres de nous, à peine, un éléphant sauvage se promène dans un bouquet d’arbres avec de grands craquements sinistres. Mon premier éléphant !… Au bord d’une rive comme nous le sommes, on peut aussi rencontrer un hippopotame, ou un félin, plus rare. Une seule consigne : ne jamais, jamais fuir en courant. Ah, et ne jamais mettre sa lampe en direction des yeux de l’animal.

Et gare aux serpents !

Nous filons alors nous réfugier sous nos tentes après la dernière recommandation de Chris : « ne sortez pas de vos tentes la nuit !« . Nous entendons l’éléphant casser des branches dans les acacias alentours mais on nous a garantit qu’ils sont capables de passer entre les fils d’une tente sans pour autant se prendre les pieds dedans. Et ils n’ont jamais saccagé de campement.

Nous sommes à peine couchés quand j’entends alors sur ma gauche, juste de l’autre côté de la toile de tente, des pattes lourdes fouler l’herbe sèche. Alors que je réfléchis à toute vitesse, je surprends un feulement bas, et je pense immédiatement à un chat sauvage ! Je sais bien que ça ne peut pas être l’éléphant mais je ne bouge pas d’un cil, osant à peine respirer, et je reste toute ouïe, tous mes radars en éveil !

Quelques secondes plus tard, c’est un énorme barrissement qui déchire l’obscurité et suspend les crissements de cigales ou de criquets. Nous l’identifions comme un avertissement ou un agacement du pachyderme mais quand nous entendons un concert de grands craquements de branches fracassées, l’Homme se met à genoux pour relever la petite moustiquaire qui nous sert de fenestron et je colle mon nez à côté du sien pour scruter la nuit, le cœur battant légèrement.

Nous restons un bon moment à l’observer et à murmurer entre nous (en entendant nos collègues en faire autant de leur côté dans les tentes voisines dont nous ne sommes éloignés que de deux mètres à peine), supputant les risques d’un piétinement d’éléphant ou d’une déchirure de toile de tente par un fauve. Puis, en constatant qu’il est déjà 2:00 du matin, je décide que nos guides ont l’expérience que je n’ai pas et, malgré ma légère appréhension, je me rallonge et m’endors brusquement !

Cinq heures plus tard, autour du feu de camp pour le petit déjeuner que nous prenons un peu hagards, on nous montrera les traces du léopard qui a laissé des empreintes autour des tentes… C’est sans doute l’intrus qui a agacé notre éléphant qui est maintenant dissimulé dans un groupe de palmiers, à moins de cent mètres.

PS : notre trajet qui devait durer six heures en durera… quinze !

Envie d’en apprendre davantage sur mon voyage au Botswana ? Voici quelques pistes à explorer :

Cet article a été publié une première fois en novembre 2007 sur mon blog de voyages Un Monde Ailleurs (2004-2014), blog qui n’est plus en ligne aujourd’hui. Les articles re-publiés sur ce site le sont s’ils présentent à mes yeux une valeur émotionnelle ou s’ils offrent un intérêt informatif pour mes lecteurs. Ils sont rassemblés sous le mot-clé « Un Monde Ailleurs ». Malheureusement il a été impossible de réintégrer les commentaires liés à cet article, seul le nombre de commentaires est resté indiqué.

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