Coucher de soleil sur le lac Malawi ©-Marie-Ange Ostre

Cape Maclear, Malawi, sur les rives Sud du lac du même nom. Nous sommes en repérage pour le film que nous nous apprêtons à tourner avec l’équipe qui doit nous rejoindre ici dans 5 jours. 

Chaque minute compte pour dénicher chaque lieu nécessaire à l’illustration de nos séquences, pour tester tous les sites de plongée, pour rencontrer des invités qui nous parleraient de leur pays et de ses ressources. Levés vers 06h, couchés vers 23h, nous vivons au rythme de nos hôtes qui nous accueillent dans leur structure du W.W.F. et qui nous font découvrir leur terre d’accueil.

Ce matin, Ken McKaye nous a embarqué avec lui, dans sa recherche de villages potentiellement intéressés par la culture du jetropha, cet arbuste à la croissance ultra-rapide dont je vous reparlerai.

Pour résumer, comprenez que c’est le plus grand espoir aujourd’hui pour protéger les populations des visites intempestives (et destructrices pour les cultures et les habitations) des éléphants sauvages, nombreux dans cette zone, tout en fournissant au pays un carburant de remplacement nettement moins coûteux et moins polluant que les hydrocarbures habituels. Un gros challenge, mais il faut aussi la collaboration des Africains, et Ken sillonne les routes pour convaincre les villageois de l’intérêt d’une telle culture. Je ne sais pas encore que je vais vivre aujourd’hui quelques-unes de mes plus belles émotions liées à l’Afrique.

Nous descendons vers le Sud pendant trois heures, vers la rivière Shire qui débouche à l’extrême pointe Sud du lac, puis nous bifurquons à l’intérieur des terres pendant une bonne heure, dans une zone protégée qui sera prochainement transformée en parc national. Les éléphants sont nombreux ici, et quand ils cherchent de l’eau, ils traversent les villages, ravagent les maigres cultures, arrachent les jeunes pousses. Ici, ce sont les enfants qui préviennent (photo) : dès que l’un d’entre eux en aperçoit un, il file à toutes jambes pour prévenir les autres, et tout le monde aux abris ! Ensuite, il faut reconstruire… Même si un enfant nous racontera que les éléphants qui ont traversé le village hier soir, ont chapardé tout le mil qu’ils ont trouvé, puis ils ont déposé les larges bassines de fer blanc… sur le toit des huttes !… Pour le bonheur des gamins qui en rient encore…

Après avoir suivi une longue piste de terre sèche sur laquelle nous croisons des femmes lourdement chargées, Ken s’arrête dans un premier village qu’il est déjà venu prospecter la semaine dernière. Américain de naissance, il vit au Malawi depuis 30 ans, mais ne maîtrise pas complètement la langue. Comme il existe de nombreux dialectes différents dans ce pays, nous sommes accompagnés d’un guide interprète qui nous présentent, l’Homme et moi, comme des journalistes. Il faut dire qu’avec nos appareils photos et nos objectifs, l’explication reste évidente, si ce n’est que ces villageois n’ont jamais rencontré de journaliste, et jamais vu d’appareil photo…

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Très vite, Ken s’éloigne pour parler avec le chef de village, l’Homme cherche des angles de vue qui plairaient au réalisateur, et je suis entraînée à l’intérieur du village par les femmes et les enfants qui s’exclament autour de moi et me pressent de toute part (photo ci-dessous). Je souris, je tente de leur parler (notre interprète est resté avec Ken) et nous échangeons donc par gestes, par signes.

Et le sourire est le meilleur des langages. Je lève l’appareil photo et je mitraille ; dès que je leur montre les premiers clichés sur l’écran LCD, les enfants hurlent leur joie et se bousculent pour être pris en photo, les femmes tendent leur bébé.

Je passe un excellent moment avec eux, jusqu’à ce que Ken nous rappelle : le chef de village est favorable à l’implantation de jetropha puisque l’odeur de cet arbre incommode les éléphants et qu’ils l’éviteront soigneusement en le contournant, ce sera donc une clôture efficace. Avant de me laisser monter en voiture, l’une des jeunes femmes se précipite vers moi et me parle de façon volubile, en riant très fort. Notre guide me traduit : elle n’a jamais vu de femme aux cheveux jaunes, elle voudrait les mêmes… Je m’amuse en lui mettant ma longue natte sur l’épaule et compare ses cheveux crépus coupés ras avec mes longueurs parfois encombrantes. Elle éclate de rire, et elle me tape dans les mains (photo). Puis elle me dit : je veux venir dans ton pays pour parler comme toi…. Son village n’a pas de nom, et ici les distances se comptent en jours de marche. Elle ne peut avoir aucune idée de l’endroit d’où je viens, c’est bien trop abstrait.

Emue, je ne sais que lui répondre… Comment lui dire que ce qu’elle prend pour un Eldorado ne serait qu’un enfer pour elle ? Comment dire à une jeune femme qui manque de tout, et surtout d’eau courante pour laver son enfant et le faire boire ? Comment expliquer à une jeune Africaine sans devenir qu’elle est plus heureuse chez elle qu’elle ne le serait jamais chez moi ?… Comment donner sans enlever ?… Contrite, et le cœur serré, je lui fais répondre qu’elle serait trop malheureuse chez moi parce que c’est bien trop loin de son village et que le soleil n’est jamais assez présent. Je vois dans son regard qu’elle ne comprend pas, puis je remonte en voiture, après une dernière accolade, un peu honteuse de ce que je possède, de ces vêtements de voyage confortables, propres et en bon état, de cette bouteille d’eau dans mon sac à dos, de la douche que je prendrai en rentrant, de ce repas équilibré qui m’attendra ce soir au dîner, de ce toit sur ma tête pour la nuit…

C’est la première fois qu’ils rencontrent une femme blanche…

Nous faisons encore quelques kilomètres avec le 4×4, nous arrêtant pour photographier ce somptueux paysage piqueté de dignes baobabs centenaires (ci-dessous), puis la piste s’arrête brusquement au sommet d’une petite colline : plus bas, le lit asséché d’une rivière. Nous sommes en fin de saison sèche, les pluies se font attendre… La piste ne va pas plus loin.

En sortant de voiture, l’Homme vacille un peu, hésite, puis décide qu’il va faire une petite sieste à l’ombre du 4×4. Un coup de fatigue le fait tituber et je lui mets une bouteille d’eau entre les mains avant de traverser le lit de rivière avec nos deux compagnons, Ken et son interprète (à notre retour, l’Homme conviendra qu’il a subi les premiers effets d’une déshydratation, un mal très fréquent chez les Occidentaux de passage). Il fait 40°C. Nous grimpons de l’autre côté de la colline, sous le soleil qui chauffe à blanc le petit chemin de sable creusé par une ornière qui ressemble au lit d’un ruisselet à sec ; une ornière creusée par les pluies diluviennes qui tardent à venir ?…

Après dix minutes de marche, nous arrivons devant quelques huttes de paille et de torchis. Un homme frappe un tronc d’arbre à grands coups de hache, en nous tournant le dos. Lorsque notre interprète le salue, il se retourne, lui sert la main puis tend la main timidement à Ken. Mais quand son regard se pose sur moi, sa mâchoire inférieure descend d’un cran, et il ne sait visiblement pas comment agir… Je lui tends la main, et il la serre presque timidement, puis plus énergiquement.

Derrière lui, une femme, puis deux se retournent. Elles sourient un peu aux deux hommes qui m’accompagnent mais restent statufiées devant moi. Je les salue de la main, et après avoir hésité une seconde, elles me renvoient mon salut, avec un petit sourire hésitant. L’une d’entre elles, la plus âgée au visage littéralement parcheminé (ci-dessous), s’approche de moi à pas lents pendant que les hommes s’entretiennent du dernier passage des éléphants, deux heures auparavant. Elle s’arrête devant moi et me regarde droit dans les yeux, puis regarde mes cheveux, mon appareil photo. Je le lui montre, la prends en photo puis lui montre son image sur l’écran. Elle porte ses mains à sa bouche en un geste charmant de timidité puis avertit ses amies derrière elle. Elles s’approchent, se penchent sur l’écran, s’interpellent les unes les autres, elles rient comme des gamines. Et je suis émue de nouveau.

Mangochi, descente du ferry transportant passagers et marchandises sur le lac Malawi.

Elles nous accompagnent sur un bout de chemin qu’on nous indique (ci-dessous), vers une mare qui attire les éléphants. Ken veut se rendre compte sur le terrain de l’impact des éléphants sur les villages, savoir si une clôture de jetropha serait suffisante pour les tenir éloignés des villages.

Quand nous arrivons trente minutes plus tard dans le méandre de rivière à sec, un villageois nous montre les empreintes des éléphants venus boire là le matin même (empreintes ci-dessous devant notre interprète). Un autre villageois nous rejoint ; quand un troisième arrive, il salue mes compagnons de loin en descendant le petit talus d’un pas alerte et… devant moi, il glisse littéralement sur les fesses, se récupère d’un geste souple et, yeux écarquillés, sa mâchoire tombe par terre ! Tex Avery ne ferait pas mieux. J’ai beau sourire pour les saluer, leurs yeux me fixent tétanisés et ils ne m’approchent pas. Ken sourit dans sa moustache et notre interprète m’explique : c’est la première fois qu’ils rencontrent une femme blanche… L’impact de cette réalité me frappe de plein fouet, au moment où une femme tire doucement ma natte du bout de ses doigts raidis par le travail manuel. Elle comprend mal qu’il s’agit de mes propres cheveux, et de nouveau je joue avec pour la faire rire. Elle m’offre un gentil sourire, plein de délicatesse

Puis j’éteins mon appareil photo : je me sens indécente à vouloir fixer leurs traits sur une carte numérique pour les emporter avec moi, pour vous les montrer. Ces villageois encore préservés de la « civilisation » dite moderne doivent rester protégés, pour ne pas souffrir trop vite d’un autre mal, celui qu’ils ignorent encore.

Mais qui suis-je en fait pour décider à leur place qu’ils ont besoin d’être protégés ?… Cette question hantera tout notre trajet de retour.

 

Note : le parc national du lac Malawi est inscrit sur la liste du patrimoine mondial naturel de l’UNESCO (lire sa fiche ici).

Envie d’en apprendre davantage sur mon voyage au Malawi ? Voici quelques pistes à explorer :

Ancienne Rhodésie le Malawi est un état indépendant depuis juillet 1964, adhérent du Commonwealth. Si les Portugais sont les premiers européens à avoir foulé la terre de ce pays l’explorateur David Livingstone l’a mis en lumière en 1859 en accédant au lac Malawi par le Sud après avoir remonté la rivière Shire. Le lac est peuplé de poissons (cichlidaes) d’eau douce, fréquenté sur ses rives par les babouins. Les Malawites aiment à définir leur pays ainsi : « the warm heart of Africa ».

Cet article a été publié une première fois en novembre 2006 sur mon blog de voyages Un Monde Ailleurs (2004-2014), blog qui n’est plus en ligne à ce jour. Les articles re-publiés ici sont tous rassemblés sous le mot-clé « Un Monde Ailleurs ». J’ai ajouté davantage de photos à ces articles en les re-publiant mais malheureusement il a été impossible de réintégrer les commentaires liés à ces articles, seul le nombre de commentaires est resté indiqué.

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