Namibie, village Himba

Parmi les temps forts de mon second séjour en Namibie je tenais absolument à rencontrer les Himba à l’écart des circuits touristiques classiques.

Le jour se lève à peine en ce 11 septembre, une date qui sonne comme un anniversaire lugubre chaque année. Pourtant ce matin je suis aux antipodes de New York, je vais à la rencontre des Himbas en Namibie.

Je me réveille avant l’aube dans un lodge situé à quelques kilomètres à l’Ouest du parc national de Purros au coeur du Kaokoland (ou Kunene), province du Nord-Ouest de la Namibie où je suis arrivée hier après-midi. Me voici de retour en Namibie, ce pays que je rêvais d’explorer davantage après un premier séjour en 2006 consacré alors à la seule région du parc national d’Etosha, de sa faune et surtout de sa population San (nommés aussi Bushmen en anglais).

Le Okahirongo Elephant Lodge est un ecolodge de charme. Huit petits logements indépendants face au désert caillouteux, parfaitement orientés pour préserver l’intimité de chaque couple. La chambre et la salle de bain sont séparés par une terrasse en plein air mais couverte (vous êtes prévenus, la nuit il faudra vous couvrir pour passer de l’un à l’autre mais vous aurez ainsi la liberté d’admirer ce ciel pur et les étoiles qui scintillent comme des diamants !). Pas de chauffage, mais un bon édredon sur le lit vous protège du froid nocturne habituel dans n’importe quel désert.

Après une douche rapide dans une grande salle de bain toute de béton peint aux teintes chaudes je profite des chaises longues sur la terrasse belvédère pour m’imprégner pendant quelques minutes de la sérénité du Namib, dans l’une des régions les plus reculées de Namibie.

Silence absolu. Le froid souffle pourtant sur le plus ancien désert du monde, suffisamment pour que la buée forme un pâle nuage lors des salutations matinales à l’attention du guide local qui m’accueille au petit déjeuner.

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Deux jeunes femmes vêtues d’une polaire dûment zippée jusqu’au col m’accueillent avec le sourire. Fruits pelés et tranchés, oeufs cuits à la demande, toasts, petites pâtisseries, thé bien noir et bien chaud,… demandez et profitez. Je suis seule à l’hôtel ce matin-là, d’autres hôtes arriveront dans la journée mais je serai déjà repartie.

Tandis que le thé refroidit dans ma tasse les premiers rayons du soleil lèchent les bâtiments communs et caressent la piscine où des pigeons s’ébattent sans être dérangés. L’hôtel fonctionne à l’énergie solaire, hier soir au dîner l’éclairage était assuré par des bougies, renforçant ce sentiment de dépaysement total. Bien sûr ici pas de wifi, et  votre réseau 4G ne passe plus.

J’ai le sentiment d’être au bout du monde, mais un bout du monde de luxe, préservant l’environnement autant que possible sans appauvrir le confort du visiteur de passage qui apporte ses devises à une région en demande. Sincèrement je passerais bien une semaine dans ce refuge à l’écart des grands axes juste pour avoir le privilège de déconnecter complètement.

Pourtant je me sens un peu fébrile : ce matin je vais réaliser un rêve, je vais rencontrer quelques représentants de l’ethnie Himba.

J’ai toujours hâte de rencontrer des groupes ethniques dits minoritaires, que je préfère nommer populations rares. Mais c’est aussi un sentiment toujours mêlé d’un peu de culpabilité. Heureuse de toucher quasiment à l’origine des hommes, d’apprendre pour quelques heures ou quelques jours de femmes qui vivent de l’essentiel. Et coupable de compter au nombre de ceux qui viennent les observer comme des insectes sous une loupe, et peut-être de leur apporter une certaine forme de corruption facile par rapport à leur mode de vie ancestral même si on nous explique que nos petits achats d’artisanat sont une contribution à ce mode de vie qui résiste tant bien que mal au rouleau compresseur du XXIème siècle.

Une contribution pour qui exactement ?…

On me regarde entrer, on m’observe, on rit sans retenue devant mon accoutrement…

Cette question est essentielle, à vous de faire en sorte de ne pas arriver dans un village Himba conçu uniquement pour le tourisme, pour le profit d’organisations commerciales qui ne reversent que peu aux Himbas eux-mêmes.

En préparant ce voyage en Afrique australe j’ai beaucoup insisté pour rencontrer des Himba qui ne sont pas englués dans ce tourisme qui me met mal à l’aise depuis toujours. J’avais insisté pour de l’authenticité autant que possible, même si je sais que les Himba sont des éleveurs nomades mais aussi chasseurs cueilleurs, au territoire compris entre le Sud de l’Angola et le Nord-Ouest de la Namibie. Difficile dès lors de prévoir où les rencontrer à coup sûr sur des itinéraires fluctuants. On m’a alors conseillé de faire escale dans la région de Purros (que vous trouverez parfois écrit Puros), et de passer la nuit au Okahirongo Elephant Lodge qui emploie des Himba et n’a pas pour vocation de perturber cette population rare.

Les Himba salariés par l’hôtel soutiennent leur village économiquement. De surcroît en échange de notre visite l’hôtel favorise le village pour son approvisionnement en produits locaux (lait de chèvre par exemple qui me sera proposé au petit déjeuner). Les visiteurs achètent aussi de l’artisanat au village, confectionné avec des matières premières teintes, gravées, sculptées. Malgré tout, le temps de visite au village est compté, pour ne pas déranger la vie traditionnelle des Himba.

Mon guide (qui travaille en journée en tant qu’employé à l’hôtel) est un Himba, il parle anglais. Nous quittons le lodge au lever du soleil pour parcourir une trentaine de kilomètres en 4×4 dans ce désert de pierres et de poussière afin d’approcher le village de ses parents. Un village nomade, sédentarisé pour quelques mois, à des kilomètres de tout autre signe de vie.

En voiture il m’explique que les hommes sont absents, ils travaillent dans les deux hôtels des environs ou dans les villages situés le long de la « grande route ». Ils ne rentrent pas tous les soirs, les distances sont trop longues dans cet immense pays. Au village restent les jeunes enfants, des grands-mères et quelques mères. Et deux ou trois jeunes, à mi-chemin entre l’adolescence et l’âge adulte, des jeunes qui vont à l’école quand ils le peuvent, quand un véhicule peut les y accompagner.

J’entre presque à pas de loups dans le village dont s’échappent des odeurs de feu de bois et des remugles de chèvres, intimidée par ma propre intrusion dans leur mode de vie.

Une clôture faite de bois mort empêche les enfants de s’éloigner et les chèvres de se disperser. Ces dernières cherchent mollement de quoi se nourrir sur le sol aride où subsistent ici ou là quelques maigres touffes d’une végétation qui craque sous les pas. On m’explique que les chevreaux sont mis à l’écart pour la nuit sous une case en bois. Pour l’heure, une femme attrape les plus jeunes chevreaux par une patte pour les amener sous une femelle aux mamelles pleines.

On me regarde entrer, on m’observe, on rit sans retenue devant mon accoutrement mais en interrogeant du regard mon guide qui fait les présentations. Une femme est habillée à l’occidentale (jupe et tee-shirt), les autres sortent lentement de leur case habillées du pagne traditionnel et seins nus.

Je suis Française, mais cela n’évoque pas grand-chose dans ces grands yeux noisette qui détaillent mon pantalon de brousse, mes chaussures de marche, mon appareil photo en bandoulière. J’insiste pour que mon guide-traducteur demande devant moi l’autorisation de prendre des photos, des portraits. Je reçois l’autorisation de plusieurs femmes, avec rires et sourires.

Encouragée, je m’assois en tailleur devant l’une d’elles, et j’observe ses gestes. Un peu surprise, elle rit et interroge mon guide. Échanges avec ces sonorités que je reconnais avec émotion car l’une d’entre elle utilise cette langue des clics que j’ai déjà entendu quand j’ai vécu dans ce même pays pendant quelques jours dans un village nomade San. L’un de mes plus beaux souvenirs de voyage.

Alors elle me montre gentiment comment elle procède pour enduire sa peau et ses cheveux de cette matière rouge brique qui la protège de l’intensité des rayons du soleil dans ce désert, et sans doute aussi des insectes et parasites.

Cette teinte est un mélange de différentes matières :

  • du beurre de chèvre qui sert de matière grasse, produit par les femmes de ce village,
  • mélangé à de la poudre minérale extraite de la roche du désert pour cette couleur rouge,
  • et de la cendre, ou bien une sorte de glaise, pour épaissir (plus particulièrement pour les cheveux).

Elle me tend un petit contenant métallique, m’invite à tester à mon tour. J’en dépose sur mon avant-bras. Cette couleur restera visible pendant presque quarante-huit heures, malgré les douches.

Les femmes autour de moi sont toutes teintées de rouge brique, de la tête aux pieds, chevelure inclue. Le guide précise qu’en absence d’eau c’est aussi une mesure d’hygiène. Les bébés nourris au lait de chèvre sont aussi enduits de cette substance, pour les protéger de tout.

Je pose quelques questions, mais les réponses sont quasiment sans substance tant mes questions sont… occidentales ! Ici l’échelle de valeur est différente, l’instruction est réservée aux jeunes enfants des couples qui acceptent de se sédentariser, il n’y a pas de notion de passé ni d’avenir. On croit en les esprits qui se manifestent dans tout être vivant, animal ou végétal.

Il me faudrait passer une semaine dans ce village pour apprendre davantage, je n’ai droit qu’à deux petites heures. Deux heures pour observer, comprendre, échanger, partager.

Aors bien vite je me contente d’observer sans mot dire, pour absorber autant que possible. D’autant que mon guide me laisse vite tomber pour vaquer à d’autres occupations dans le petit village qui compte une douzaine de cases faites de toiles et de bois, parfois de tôle ondulée.

Une femme procède à ce qui ressemble au plus près à du lavage sans eau : quelques braises sous un dôme de bois, et la fumée traverse laborieusement le textile ou la peau animale posée sur le dôme. La fumée et la chaleur tuent les bactéries.

Sur invitation j’entre à genoux dans l’une des cases qui ne compte qu’une ouverture, occultée la nuit d’une peau de chèvre teintée de rouge, ce même rouge qui teinte toutes les peaux. Cinq personnes dorment ici la nuit à l’abri du froid nocturne : une grand-mère, deux femmes adultes, et deux petits enfants. De fins matelas de mousse sont relevés contre les parois, des pagnes sont suspendus.

On se lève tôt, quand le soleil se montre, et on allume le feu pour chauffer l’eau du thé, quelques feuilles achetées par les hommes au village le plus proche. On surveille le troupeau de chèvres, on veille à la naissance des chevreaux et à leur croissance.

Et puis on confectionne de petits objets artisanaux, avec des matières premières issues du monde végétal ou animal, offertes par le désert et ses habitants. Des colliers dont les perles sont faites dans des coquilles d’oeufs d’autruche. De petites poupées confectionnées avec des chutes de tissus et des poils de chèvres. Des statuettes et des porte-clés sculptés et gravés dans des os d’animaux.

L’une des grands-mères fume à l’écart, gardant un oeil sur les bébés qui commencent à marcher sur le sol sableux. Elle fume avec ce même accessoire que j’ai vu chez les San, un tube métallique large comme un bouchon de bouteille de vin, long d’une douzaine de centimètres.

Sa voisine tanne une peau de chèvre, avec ce même beurre de chèvre teinté de rouge, une couleur emblématique des Himba.

Et puis il est temps de partir, de quitter ces femmes qui m’ont accueilli gentiment pour un moment unique dans une vie d’Occidentale. On m’oriente vers le petit stand qui abrite les menus objets décoratifs dont je n’ai nul besoin mais qui me permet d’échanger quelque monnaie contre du fait-main. De l’argent qui profitera aux villageois et à eux seuls pour acheter de l’alimentation de première nécessité. J’offre aussi le thé en vrac et la vaseline que j’ai apporté, l’un des petits enfants m’apporte un chevreau en guise de monnaie d’échange. Mon guide rit, et le renvoie gentiment.

Je quitte le village Himba sur des signes d’au revoir des deux côtés.

Le jeune homme qui me ramène vers l’hôtel m’assure que je n’ai en rien dérangé, que la vie reprend son cours et que j’ai apporté ma petite contribution à cette population que le gouvernement namibien tente de sédentariser sans le dire. La condition des Himba est précaire depuis des décennies, toute la difficulté consiste à respecter leur mode de vie tout en leur permettant une intégration dans notre monde dit moderne.

J’ai eu la chance incroyable de me rendre par deux fois dans ce pays difficile à décrire tant les mots sont impuissants à traduire sa beauté qui ne tient pas seulement aux paysages.

En ce spectaculaire territoire qu’est la Namibie j’ai eu le privilège inespéré de partager des moments de vie uniques avec deux des populations les plus rares au monde : les San, et les Himba. Je me sens privilégiée, d’une façon très particulière, et je tenais à partager avec vous ces quelques images.

Des photos que j’ai voulu naturelles, prises sur le vif, avec la complicité de ces femmes qui ont accepté cet échange. J’ai capturé leurs gestes de la vie quotidienne, sans les mettre en scène. Je ne les ai pas déplacées pour que l’arrière-plan soit meilleur, pour que la lumière soit plus belle. Vous les voyez telles que je les ai rencontrées, chacune avec leur regard sur moi, avec leur sourire.

Envie d’en apprendre davantage sur mes voyages en Namibie ? Voici quelques pistes à explorer :

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Comments 2

  1. Contente de te retrouver par ici!
    Merci !
    Bises,
    Aline

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