Brésil, coucher de soleil sur Bonito © Marie-Ange Ostré

Un tournage pour notre programme télévisé doit démarrer dans quelques heures, et nous rejoignons l’aéroport d’Orly avec satisfaction. Notre épisode consacré au Brésil peut démarrer ! Pourtant…

Nous sommes pile à l’heure au rendez-vous : midi, il neige sur Orly en ce 3 mars 2005. Nous sommes les premiers arrivés, avec nos bagages somme toute légers : un sac de voyage pour chacun de nous qu’on pourrait presque emporter en cabine ainsi que notre sac à dos perso plus un sac contenant notre équipement de photo sous-marine. Ravis de notre légère avance, nous filons droit vers notre endroit favori dans les aéroports : la librairie !

Quelques minutes plus tard le producteur nous appelle, il vient d’arriver et regroupe ses ouailles : le réalisateur est dans une autre voiture mais il arrive, quant au réalisateur des séquences sous-marines il vient d’atterrir en provenance de Marseille et sera avec nous dans quelques minutes.

Le tas de bagages grossit : caisses alu, sac hors norme pour la grue légère qui servira aux plans panoramiques, caisson de la caméra sous-marine, caméra, pied, quelques tee-shirts et la trousse de secours. Autour de nous s’affaire l’assistant de production qui doit régler les problèmes de carnet ATA pour l’exportation et l’importation du matériel de prises de vue, indispensable pour chaque pays où nous nous rendons.

Très vite l’équipe est au complet, nous sommes cinq à décoller à 15h30 pour le Brésil, plus une accompagnatrice désignée par le tour-opérateur qui prend en charge quelques hôtels et une partie de nos billets d’avion. Elle arrive avec un sac monstrueusement grand qui lui vaudra les plaisanteries de certains d’entre nous tout au long des quinze prochains jours : de petite taille, mais charmante, on pourrait la faire entrer dans son sac-armoire qu’elle a chargé de brochures touristiques à l’attention des partenaires qu’elle doit démarcher sur place.

Nous sommes debout depuis 8h00 ce matin, excités par cette nouvelle aventure qui se profile, et l’Homme affamé s’éclipse pour acheter un sandwich.

Tout le monde étant au rendez-vous, le travail commence pour le producteur : six minutes plus tard il revient de son expédition ravitaillement et distribue à chacun sa ration… Après une seconde et demie de réflexion, l’Homme engloutit le deuxième sandwich.

Commence l’attente d’enregistrement des bagages.

Il a neigé une partie de la nuit sur la région parisienne et nous nous attendons à quelque retard. Mais à midi et demi tout semble rouler normalement sur les tapis d’enregistrement des bagages.

Le producteur s’élance courageusement vers l’hôtesse la plus souriante, en compagnie de la jeune femme tour-opérateur avec laquelle il fait connaissance rapidement : c’est un moment stratégique pour tout producteur puisque c’est celui où il doit affûter ses meilleurs arguments et toute sa séduction pour convaincre le personnel au sol de ne pas trop surtaxer notre surcroît de bagages… Pendant ce temps notre réalisateur sous-marin se met en quête d’une prise électrique (qui fonctionne…) dans ce hall d’aéroport bondé pour recharger la batterie de son précieux téléphone portable. Et il y arrive !…

Le moment de l’enregistrement est fondamental lorsque l’on se rend dans des contrées peu communes parce qu’il s’agit de s’assurer que nos bagages ne rateront pas nos diverses correspondances. Et en fonction des tour-opérateurs qui nous soutiennent, nous pouvons avoir parfois des trajets parfaitement exotiques (et à rallonge…). Je me souviens d’un vol vers Andros, aux Bahamas, qui nous a fait décoller de Paris pour transiter par Zurich, puis Miami, puis une heure de bus jusqu’à Fort Lauderdale, une nuit sur place, puis un petit avion privé vers Andros. Et ce n’était pas le plus désagréable.

En général, à l’aller on supporte bien. Le retour est souvent plus pénible parce que nous sommes tous épuisés, parfois un peu malades et que le travail étant accompli, nous n’avons qu’une envie : rentrer très vite chez soi !

Aujourd’hui nous partons vers Bonito, grosse bourgade du Mato Grosso do Sul, état brésilien situé au Sud du mythique Pantanal. Et les correspondances promettent d’être nombreuses : depuis Orly nous rejoindrons Madrid pour changer d’appareil et voler ensuite vers Salvador de Bahia, puis Sao Paulo, puis Campo Grande, pour ensuite prendre un bus privé qui nous conduira jusqu’à Bonito, à 1h30 de là…

Mais pour l’instant nous sommes enthousiastes en ce jour de départ, et comme nous n’avons jamais mis les pieds au Brésil, ni les uns ni les autres (peu fréquent au sein d’une équipe de voyageurs patentés), nous avons hâte de découvrir ce pays plein de promesses.

Notre producteur revient vers nous, nos cartes d’embarquement en mains, et les distribue aussitôt. Tout s’est bien passé, il a joué serré mais nos 450kg de bagages sont enregistrés et le dépassement ne grèvera pas trop le budget de production. Il est satisfait.

Orly connaît la foule des grands départs et les files d’attente s’allongent devant les comptoirs d’enregistrement : comme il fallait s’y attendre, la neige a retardé l’atterrissage de nombreux vols depuis ce matin, et les correspondances ont du mal à se faire, les vols re-décollent avec du retard, et… puisque nous sommes en France, les haut-parleurs annoncent que nos chers bagagistes profitent du chaos ambiant pour démarrer une grève !

Le producteur fronce les sourcils et échange un regard inquiet avec notre tour-opérateur qui file de nouveau vers le guichet d’enregistrement : il y va de notre correspondance à Madrid avec le vol pour Salvador, et de toute la suite de notre acheminement ! Pour une équipe de télévision, le temps c’est de l’argent, et tout retard diminue les temps de tournage sur place. Or nous avons à peine 5 jours pour filmer un épisode, y compris les séquences sous-marines qui nécessitent toujours plus de temps.

La jeune femme revient contrite, même si elle n’est pas en cause : le vol pour Madrid est retardé à 18:30… Consternation.

Elle s’est assurée que notre correspondance Madrid / Salvador est toujours possible et l’équipage de ce vol sera prévenu et nous attendra au maximum. Mais les hypothèses commencent à s’échafauder, malgré le producteur qui a décidé de rester résolument optimiste : il est aussi responsable du bon moral des troupes et le catastrophisme chez lui n’est pas de rigueur.

Les heures s’égrènent… Les romans d’aéroport sortent des poches, les conversations entre nous s’effilochent, nous prenons des nouvelles des enfants, des conjoints, des derniers tournages effectués par les uns et par les autres,…

Nous racontons notre déménagement effectué sur les chapeaux de roues 2 jours auparavant : nous venons de migrer de Paris vers Marseille et avons juste eu le temps de recevoir le camion de déménagement avant de reprendre le premier TGV en sens inverse. J’avais fait les sacs de voyage avant le déménagement, pour être certaine de n’avoir rien à chercher follement au dernier moment.

A l’heure où nous sommes supposés embarquer pour Madrid, la menace se précise : notre vol est repoussé cette fois à 23h30 !

Notre producteur qui ne quitte pas son téléphone fait voler ses doigts sur son clavier : l’équipe de Paris est toujours en attente au bureau et réorganise en urgence nos ré-acheminements ainsi qu’une nuit à Madrid. La tour-opérateur contrariée cherche d’autres solutions de son côté pour garantir nos transferts depuis Salvador, et prévient les intervenants locaux que nous aurons au moins 24 heures de retard…

L’Homme revoit mentalement l’histoire qu’il a écrite et qui sert de canevas au réalisateur afin de la réadapter : nous n’aurons plus que 4 jours sur place si nous ne voulons pas que le second épisode pâtisse du retard imposé au premier. Si le retard ne dépasse pas les 24 heures, il n’est pas nécessaire de modifier tous les autres vols qui doivent, au cours des quinze jours à venir, nous emmener ensuite vers Paraty (au Sud de Rio) puis vers l’archipel de Fernando de Noronha, au large de Recife plus au Nord dans l’Atlantique.

Pour conjurer le mauvais sort et puisque nos bagages sont enregistrés, nous passons les formalités de douane et entrons en zone de duty free même si aucun de nous n’a vraiment la tête à faire du shopping. Pour cela nous préférons nos vols de retour.

La zone d’embarquement est supposée être moins bruyante, et nous trouvons effectivement une foule désabusée, avachie sur les maigres sièges répartis ça et là, amassés autour des rares comptoirs de rafraîchissements.

A 19h30 le producteur tente de nous distraire en nous offrant le dîner. Mais il a beau faire, il ne trouvera qu’un serveur épuisé disposé à nous offrir un échantillon d’avatars de croque-monsieur. Que nous acceptons prudemment, c’est toujours un repas d’assuré. Et qui sait quand nous décollerons ?…

Les fumeurs qui sont parmi nous commencent à devenir nerveux… Cela fait maintenant dix heures que nous errons dans l’aéroport d’Orly en attendant la bonne volonté des bagagistes.

En salle d’embarquement la tension monte parmi les passagers : des correspondances ratées, des vacances tronquées, des correspondants qui attendent à Madrid ou ailleurs, des contrats à signer,… chacun a une bonne raison de se plaindre et certains haussent le ton auprès du malheureux personnel au sol qui représente la compagnie.

A 23h nous envisageons le pire : dans une heure plus aucun avion ne décollera d’Orly. Les pistes ont été dégagées et les bagagistes ont repris leur travail mais les avions ont tellement de retard que les vols prioritaires monopolisent les pistes. Or nous ne voyageons pas sur Air France…

Une poignée de passagers hurle de colère et exige qu’un responsable se présente pour proposer une solution. Il ne se montrera pas… Mais à 23h30 nous voyons un appareil de la compagnie se placer devant la porte du couloir mobile d’embarquement et il vomit littéralement une foule de passagers qui se hâte vers la sortie.

Dans notre aquarium de verre, nous les regardons avec envie, puis nous nous concentrons sur cet avion avec concupiscence : est-ce son dernier vol de la journée ? Est-il là pour faire l’aller-retour vers Madrid ? Va-t-il re-décoller avec nous ?… A la limite, peu nous importe de rester en stand-by à Madrid, mais nous voulons au moins une chose : que ce voyage commence, qu’on nous laisse quitter le sol français !

Nous apercevons l’équipage quitter précipitamment l’appareil et ils passent devant nous en nous jetant des regards furtifs, que nous prenons pour de la culpabilité. Les passagers les plus belliqueux reprennent leurs vociférations de plus belle.

A 23h45, par quel miracle nous ne le saurons jamais, l’équipage au sol nous invite soudain à embarquer le plus rapidement possible et accélère le mouvement : la compagnie vient d’obtenir une autorisation de décollage, et même si le ménage n’a pas été fait dans l’appareil nous nous jetons sur nos sièges avec la ferme intention de ne plus les quitter jusqu’à Madrid. C’est peut-être l’embarquement le plus rapide de toute l’histoire de cette compagnie aérienne !

Nous restons suspendus à l’éventuelle possibilité que la tour de contrôle revienne finalement sur sa décision et, par superstition peut-être, le silence règne à bord pendant que l’équipage de l’avion abrège les formalités d’usage. Nous ne réclamons pas le sacro-saint verre de jus de fruit d’avant décollage et nous gardons les yeux fixés sur notre montre.

23h57, portes fermées, l’avion s’ébranle lentement et les sourires commencent à s’échanger entre passagers, les visages se décrispent.

Et lorsque, enfin, après douze heures d’attente interminable à Orly l’appareil prend enfin son envol dans le ciel d’encre au-dessus de Paris, les soupirs de soulagement se font entendre ainsi que quelques applaudissements satisfaits.

Tant pis pour ceux qui sont encore en bas, mais nous, nous sommes partis !

Cet article a été publié une première fois en mars 2005 sur mon blog de voyages Un Monde Ailleurs (2004-2014), blog qui n’est plus en ligne aujourd’hui. Les articles re-publiés sur ce site le sont s’ils présentent à mes yeux une valeur émotionnelle ou s’ils offrent un intérêt informatif pour mes lecteurs. Ils sont rassemblés sous le mot-clé « Un Monde Ailleurs ». Malheureusement il a été impossible de réintégrer les commentaires liés à cet article, seul le nombre de commentaires est resté indiqué.

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