La Réunion, cyclone Hary sur la plage de Saint-Gilles © Marie-Ange Ostré

Voici mon deuxième cyclone en moins de trois mois, le cyclone Hary va heurter l’île de La Réunion mais je me sens ici plus en sécurité que dans mon appartement précédent sur l’île Maurice.

Île de La Réunion. Nous sommes de nouveau en alerte de vigilance cyclonique. Depuis 18h30 hier soir les services joints de La Réunion et de l’île Maurice ont décrété la vigilance cyclonique puisque ce cyclone tropical intense, Hary de son petit nom, après une approche de nos îles depuis le début de la semaine à quelques 1 200 km au Nord et une petite frayeur pour Mayotte et les Comores qui auraient pu se trouver menacées, vient de rebondir sur la côte Nord-Est de Madagascar et redescend maintenant depuis moins de 24 heures à nouveau droit vers nos deux îles.

La photo satellite est impressionnante, et j’ai entendu dire que cet affreux avance sur les eaux à une vitesse de 22 km / heure, vitesse supérieure à celle de Dina qui était de 15 à 17 km / heure (seulement !) en mer. Ci-dessous la photo de sa trajectoire aléatoire au cours des jours qui ont suivi : en haut à droite, le contour (en vert) de La Réunion et de l’île Maurice ; à gauche, les côtes de Madagascar :

La Réunion, passage du cyclone Hary © Inconnu

La Réunion, passage du cyclone Hary © Inconnu.

Ce matin à 9h, je me suis levée en pensant que le cyclone était déjà sur nos têtes en entendant le vent siffler entre les volets qui protègent mes baies vitrées à Saint-Gilles.

En ouvrant la fenêtre du balcon, j’ai vu la pluie tomber drue sur le paysage environnant, l’océan avait disparu sous la grisaille. Le ciel était blanc uniforme, et les larges feuilles des palmiers se couchaient sous le vent. J’ai pensé : « voici tous les ingrédients du cyclone, on remet ça !…« .

Il y a moins de trois mois je vivais en direct mon tout premier cyclone, sur l’île Maurice, voisine. Voici mon récit détaillé du passage du cyclone Dina sur l’île Maurice, avec des vents à 240km/heure. Je ne le sais pas encore mais je vivrai un troisième cyclone (le cyclone Gerry) dans quelques mois, de nouveau sur Maurice.

Vers midi et demi le ciel s’est éclairci et nous avons eu quelques rayons de soleil sur le lagon au loin, l’horizon s’est débouché et j’ai vu un énorme porte-containers stabilisé en haute mer face à la côte, ce qui est totalement inhabituel. Il semblerait que le bateau ne puisse rejoindre Le Port, la mer étant trop agitée le bâtiment pourrait s’échouer sur l’une des digues… Sur cette photo prise à l’abri derrière mes fenêtres et au zoom numérique, je peux constater sans me déplacer que les vagues sont grosses et je vois l’écume rageuse sur leur crête sous un vent fort.

La Réunion, cyclone Hary sur la plage de Saint-Gilles © Marie-Ange Ostré

Ont suivi deux heures de calme. Puis une rafale de vent nous a avertis d’une nouvelle grosse averse. Et l’horizon s’est trouvé obscurci subitement d’une nappe de brouillard, étrange sous ces latitudes !… Le porte-containers a disparu du paysage, la mer est redevenue gris tuile et les palmiers se sont inclinés à nouveau.

Nous ne sommes encore qu’en vigilance cyclonique, mais le flash météo dont je n’ai vu que la fin insiste sur les précautions à prendre. Les sorties en mer et les randonnées en montagne sont bien entendu strictement interdites. Je n’ai pas réussi à savoir à quelle distance se trouve encore Hary de nos côtes, mais j’espère bien que sa trajectoire va encore dévier et qu’elle épargnera les îles. Un cyclone par saison suffit !

Il faut ensuite de longues semaines à la nature pour se remettre, et les dégâts sous l’eau sont déjà considérables suite au passage de Dina il y a moins de deux mois. Je ne veux pas envisager ce que Hary pourrait encore faire comme ravages ; et puis il me semble qu’il est encore plus puissant que Dina. Une forte houle cyclonique a tout de même enveloppé l’île du Sud au Nord, tels deux bras gigantesques prêts à la broyer. Je comptais faire une petite plongée dimanche, je vais devoir attendre.

À 16h, Hary était à 740 km le long des côtes de Madagascar et descendait vers le Sud-Est, donc vers nous, à une allure de 16 km / heure. S’il ne change pas de direction, il devrait passer au plus près de La Réunion demain en fin de journée à environ 400 km de nos côtes. Apparemment on peut s’attendre à de fortes pluies au minimum, une forte houle cyclonique avec des creux de 2 à 3 mètres de haut sur le Nord et l’Ouest.

En début de matinée il est passé quelques heures sur Madagascar, avec une forte puissance. Les communications sont interrompues pour l’instant avec les services météo de Mada. Je suis surprise par les bulletins météo d’ici qui me semblent incomplets. Sur Maurice on nous parlait de l’envergure du cyclone, de sa vitesse, de la force de ses vents. Ici on ne nous donne pas les chiffres, comme s’ils n’en étaient pas certains. La photo satellite est assez explicite sur son envergure, il me semble plus large que Dina, par contre on ne distingue encore aucun œil en son centre…

En attendant, étant donné que nous subirons au moins de fortes pluies demain, la route du littoral entre Saint-Denis et Saint-Paul sera basculée sur seulement trois voies afin de neutraliser la voie la plus exposée à la houle qui s’abat dessus.

Lundi 11 mars 2002, 12h18

Réveillée ce matin avant 7h par les rafales de vent (il a commencé à souffler vers 2h30 du matin, accompagné de grosses pluies). Une amie, en vacances sur La Réunion, se trouve avec son mari à Saint-Gilles aujourd’hui, plus tôt que prévu du fait du cyclone qui perturbe un peu leurs plans d’itinérance. Ils ne peuvent pas se promener en montagne, tous les sentiers et chemins de randonnée sont interdits à cause du passage du cyclone au large et des fortes pluies. Ils doivent être un peu déçus de leur séjour, ils sont là depuis quelques jours et s’offrent la période du cyclone avec tous les inconvénients que cela peut représenter pour des touristes.

J’ai travaillé pendant plusieurs heures, puisque l’électricité n’est pas coupée et qu’il faut donc en profiter.

Je n’ai pas allumé la télévision pour l’instant et je ne sais donc pas où en est le cyclone, mais depuis ma terrasse j’ai pleine vue sur l’océan tempétueux.

Les pluies ont cessé, le ciel est toujours blanc et chargé mais la luminosité est belle. Le porte-containers ancré au large hier s’est légèrement déplacé sur la gauche, sûrement sous l’effet de la houle.

L’océan est divisé en trois strates de couleurs, du bord vers le large : beige limoneux en bord de plage (à cause du sable que ce courant doit soulever), vert laiteux (sur une profondeur supérieure à un mètre, pauvres coraux…) et gris ardoise au-delà. Je vois les vagues furieuses partir à l’assaut de la plage, des gerbes d’écume s’envoler rageusement sur certainement plus d’un mètre de hauteur. Je veux aller voir cela de près. Et prendre quelques photos de l’océan en furie puisque c’est assez rare ici.

Je vais tresser mes cheveux pour éviter de laisser une prise au vent, pas envie de démêlage intensif après la séance photo. Et si le cyclone doit passer directement à l’Ouest de chez nous à partir de 16h, autant descendre prendre mes photos avant, ensuite il pleuvra trop.

Eh ! Ils sont malades !!!… Je vois un petit bateau en mer ! Jaune vif, je me demande s’il ne s’agit pas d’un bateau des gardes côtes. Ou un bateau de sauvetage ? La mer est vraiment forte, je le vois disparaître par intermittences au creux des vagues, il soulève des gerbes d’écume de chaque côté de son passage. Ça ne peut pas être un bateau de loisir ni de pêche, toutes les sorties en mer sont strictement interdites. Quant à la plongée, n’en parlons même pas ! Bouh, je n’aimerais pas être sur un bateau aujourd’hui avec une mer pareille !

Allez, je vais voir ça de plus près !

Lundi 11 mars 2002, 14h49

Je viens de prendre un énorme bol d’air !

Je suis donc descendue sur la plage avec mon appareil photo et je suis maintenant en train de télécharger sur mon PC les 67 prises de vue. Je pense qu’il devrait y en avoir entre douze et quinze de vraiment intéressantes. Ce qui ne serait déjà pas si mal, parce que finalement prendre des photos d’un océan furieux est un peu monotone : on attend « la » vague. Comme les deux véliplanchistes sur la plage qui ont tenté de se mettre à l’eau. L’un d’entre eux, après moult hésitations, a réussi à tenir moins d’une minute debout sur sa planche. Et l’autre, attendant la vague, m’a permis de prendre quelques photos de mer grise avec une tache jaune en premier plan, sa planche !

Au départ, j’étais la seule à m’aventurer sur la plage, les autres rares touristes ou promeneurs se tenaient prudemment le long de la route. Je suis descendue sur le sable, il n’y avait vraiment aucun danger si ce n’est le risque de se faire mouiller les pieds par l’écume.

Je me suis régalée quelques minutes à choisir mes cadrages, les meilleurs rouleaux, le réglage de l’appareil photo quant à la luminosité, la vitesse d’ouverture du diaphragme, etc… J’ai fait plusieurs essais pour tester. Puis les véliplanchistes sont arrivés et se sont mis les pieds dans l’eau, planche à bout de bras. Un peu de couleurs dans tout ce gris ! J’en ai profité pour les cadrer à loisir.

Des touristes ont commencé à s’approcher pour les observer prendre des risques. Ils ont fait quelques essais infructueux, le courant était sans doute trop fort… mais je n’y connais rien en planche à voile. L’un d’entre eux a eu un modeste succès de quelques dizaines de secondes, le temps que je le shoote. L’autre s’est retrouvé soulevé par l’eau et nous a offert un magnifique roulez-boulez dans les vagues. Ses copains se sont précipités vers l’eau pour récupérer sa planche, un autre sa ceinture de sécurité (eh oui, sous l’impact elle s’était détachée, il aurait pu se noyer) et il lui a fallu deux ou trois minutes pour réussir à rallier la plage. Il a laissé tomber pour aujourd’hui…

À un moment donné, un touriste d’une trentaine d’années s’arrête les mains dans les poches à cinq mètres devant mon objectif alors que j’étais visiblement là depuis un moment, les deux pieds solidement ancrés dans le sable, cassée en deux pour avoir le meilleur angle et donner un peu de dynamisme à ma photo des véliplanchistes, attendant qu’un gros rouleau se forme devant eux.

Agacée par le manque de jugeote de celui qui me bouche le champ, je me redresse légèrement et j’attends qu’il dégage. Eh bien non ! Ce con se plante là, juste à cinq mètres devant moi et n’en bouge plus ! Je n’ai pas dû retenir mon geste d’agacement parce qu’au moment où je me retourne vers la plage pour chercher un autre angle je vois sa femme près de moi qui surprend ma moue. Elle dit sur un ton traînant :
– « ben, la plage appartient à tout le monde…« .

En temps normal je n’aurais même pas relevé mais agacée, je réponds :
– « je suis d’accord, mais là c’est une question de bon sens et de courtoisie ! D’ailleurs je n’ai rien dit…« .
– « Mais y’a pas que vous pour faire des photos ! »
– « Exact, il suffit de ne pas se mettre devant l’objectif des autres ! D’autant que votre mari n’a pas d’appareil photo !« .

Et juste à ce moment-là, mes anges gardiens ont du être d’accord avec moi puisqu’une vague plus forte que les autres est venue mourir très haut sur la plage et ce couillon s’est trouvé surpris, plouf les pieds dans l’eau et enfoncé dans le sable sur une dizaine de centimètres par le reflux qui rend le sable un peu mouvant lorsque l’eau se retire. Il a été obligé de récupérer ses sandales avec les mains.

J’ai décidé de m’éloigner non sans avoir gratifié la bêtasse d’un haussement de sourcils narquois. Pas très courtois non plus de ma part…

En me retournant, j’ai surpris autour de moi quelques sourires entendus d’autres messieurs qui tenaient une caméra ou un appareil photo à la main. Je ne les avais pas vus auparavant, mais en tout cas ceux-là ont soit photographié mon postérieur en premier plan, soit cadré en évitant ma silhouette. Patients ou coopératifs ? En tous cas, respectueux, comme on sait l’être entre photographes.

À chacun son tour, je leur abandonne ma position stratégique pour grimper vers les roches noires à l’autre bout de la plage. Là où personne ne se tient.

Le vent souffle très fort, et notamment sur la plage où il arrive directement du large et n’est arrêté par aucune barrière naturelle. Je marche un peu courbée en avant, dissimulant mon appareil sous mon tee-shirt pour le protéger des embruns.

Je prends une ou deux photos ironiques avec un panneau de baignade interdite et de grosses vagues en arrière-plan, et une autre sympa du fanion rouge de baignade interdite. Rouge sur gris, ça donnera un peu de vigueur à mes prises de vue. Puis je grimpe rapidement sur les roches de basalte noir pour découvrir la vue derrière la plage.

Et surprise !… Je n’étais jamais venue à pieds jusque-là et donc je ne connaissais pas cet angle, habituellement je me contente de l’immense plage de Boucan-Canot.

On surprend la route du littoral dans une petite anse avec un immense rocher en forme de stalagmite surplombant la houle. Bien sûr, pour un meilleur résultat il m’aurait fallu un télé-objectif plus puissant. Je suis passée tout de même en zoom numérique pour augmenter le zoom optique et j’ai pris trois ou quatre photos.

Ensuite… eh bien sous les coups de semonce des rafales de vent qui soulevaient mon tee-shirt et le retroussaient jusqu’au soutien-gorge (!), et surtout en sentant qu’il me faisait trébucher en déviant mon pied de sa route chaque fois que je faisais un pas, en recevant des paquets d’embruns semblables à de grosses gouttes de pluie, je me suis dit que les éléments me lançaient un avertissement et qu’il serait bon d’en tenir compte…

J’ai donc prudemment rebroussé chemin histoire de ne pas me fracasser bêtement sur les rochers.

En redescendant de mon escalade, je surprend un monsieur d’une bonne soixantaine d’années, un gros appareil à la main, m’observant discrètement de loin. En passant à sa hauteur, je lui dit :

– « il y a une très jolie photo à faire de là-haut, mais soyez prudent parce que ça souffle très fort…« .

Tout content, il file emprunter le même chemin que moi. En redescendant sur la plage je me suis trouvé une petite cache abritée entre deux roches noires et je me suis assise quelques minutes pour profiter du spectacle. Je l’ai surveillé du coin de l’œil, discrètement. Il n’est pas allé bien loin, mais il a tout de même pris quelques photos, vacillant sur ses jambes comme je l’avais fait moi-même sous la fureur du vent. Puis en redescendant il m’a dit gentiment :

– « effectivement, c’est une très belle photo, je vous remercie beaucoup !« .

Ça m’a réconciliée avec les touristes photographes. Surtout qu’il a respecté aussi mon envie de rester seule et s’est éloigné pour se trouver un autre poste d’observation tranquille.

Je suis restée là, à l’abri du vent derrière un buisson de bougainvillées totalement dénudé depuis la veille, sereine sous la tempête, pendant un bon moment.

J’aurais aimé que surgisse un arc en ciel pour fixer l’étrangeté d’une scène de poésie dans la tourmente, mais le soleil était absent. Les vagues montaient sur environ trois mètres avant de s’écraser furieusement sur la plage ou sur les roches noires. Un tronc d’arbre mort et dénudé roulait sur le sable, au gré du flux et du reflux. Au loin la falaise dissimulant la plage de Saint-Gilles était presque gommée du paysage par la brume de l’écume. Le porte-containers était là, à l’horizon, étrangement statique, inquiétante silhouette en potentiel danger.

Les véliplanchistes avaient disparu.

À intervalles réguliers l’écume soulevée par le vent violent sur la crête des vagues me faisait penser à de la neige poudreuse. Nuage de coke

Et là, comme souvent lorsque je tombe en admiration devant la mer, j’ai pensé à mon grand-père. Je sais qu’il est allé au moins deux fois jusqu’à Sydney au début de sa carrière de navigateur. Mais a-t-il fait une escale sur l’île française pour du ravitaillement ? Sûrement.

Dans les années 1920 à 1940, c’était une escale obligatoire. La Réunion, le grenier français de l’Océan Indien, manne de légumes et de fruits frais pour lutter contre le scorbut sur la route des Indes ou de l’Australie. J’aime à imaginer que soixante-dix ans plus tard, je suis venue là où il a ouvert des routes pour ses descendants. Où qu’il soit j’espère qu’il est fier de ses petits-enfants. Nous ne sommes pas marins ni l’un ni l’autre, mais mon frère et moi sommes attirés par la mer depuis toujours. C’est un appel. Un besoin.

Je suis sereine ici, même en pleine tempête. J’ai bien fait de quitter la métropole, et depuis mon départ, je n’ai jamais eu aucun regret.

(extrait de mon journal, île de La Réunion, 11 mars 2002)

Envie d’en apprendre davantage sur ma vie et mes nombreux voyages sur l’île de La Réunion ? Voici quelques pistes à explorer :

Cet article a été publié une première fois en août 2006 sur mon blog de voyages Un Monde Ailleurs (2004-2014), blog qui n’est plus en ligne aujourd’hui. Les articles re-publiés sur ce site le sont s’ils présentent à mes yeux une valeur émotionnelle ou s’ils offrent un intérêt informatif pour mes lecteurs. Ils sont rassemblés sous le mot-clé « Un Monde Ailleurs ». J’ai ajouté davantage de photos à ces articles en les re-publiant mais malheureusement il a été impossible de réintégrer les commentaires liés à ces articles, seul le nombre de commentaires est resté indiqué.

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