Marquises, fleurs de bougainvillées © Marie-Ange Ostré

Aujourd’hui vous ne verrez pas de photos. Parce que la photographe est HS, terrassée par la fièvre toute la nuit et pourtant grelottante de froid dans la chambre de cette pension de famille qui doit bien avoisiner les 30°.

Je vous offre juste quelques fleurs de bougainvillées à vous mettre sous la dent. Je n’ai pas d’autre énergie que de publier rapidement ces quelques mots surtout pour informer ma famille et mes amis, pour que personne ne s’inquiète outre mesure de mon silence sur les prochains jours. Je vais me mettre en mode silence-radio.

En effet, si vous avez lu mon article d’hier soir publié à propos de lîle d’Hiva Oa vous avez peut-être retenu que je souffrais déjà de quelques frissons de fièvre.

Ce matin à l’aube j’ai décidé à contre-coeur que je n’étais pas en état de suivre l’équipe dans ce qui s’annonce être encore une grande journée de 4×4 et de crapahut dans toutes les directions. Je ne veux pas être un poids mort, il faut savoir renoncer parfois pour récupérer des forces. Pourtant une heure plus tard, d’autres symptômes apparaissant, et alertés par la population depuis ces derniers jours, je décide de consulter un médecin sans attendre.

Pascal et Denis, nos deux plongeurs, me servent de chauffeurs et d’escorte jusqu’au dispensaire local. Je ne marche qu’avec effort et je ne suis qu’une crispation ambulante. Après deux comprimés une heure plus tôt la fièvre semble tombée mais je souffre pourtant de la tête aux pieds et je ne peux plus rien avaler depuis la veille.

Le médecin est partagé sur son diagnostic : une épidémie de dengue sévit sur tout l’archipel depuis des mois et elle est particulièrement gourmande des popa’a, me précise-t-il, les visiteurs de passage…

Pour l’instant il me recommande de m’isoler au maximum de mes petits camarades pour éviter de leur transmettre un virus si c’en est un, et je dois patienter si c’est la dengue : si la fièvre augmente dans les 48 heures et que les maux de tête empirent, il ne faut même pas espérer être capable de reprendre un vol vers la métropole avant une dizaine de jours. Si ce n’est pas la dengue, je souffrirais dans ce cas d’une belle intoxication alimentaire. Allez savoir !…

Je suis tout de suite inquiète pour le reste de l’équipe : si je leur transmet un virus à l’autre bout du monde, on peut faire une croix sur le film !

Tandis qu’avant d’entrer dans le dispensaire je refusais de prendre un vol pour rentrer sur Papeete sans attendre plutôt que subir seize heures de navigation en mer à bord de notre catamaran avec le reste de l’équipe, en sortant du cabinet du médecin je me laisse entraîner sans broncher par mes deux collègues vers l’aérodrome d’où un vol doit décoller dans moins d’une heure.

Pas le temps de récupérer mon sac de voyage à bord du catamaran, je n’emporte que ce que j’avais avec moi dans la chambre de la pension et que j’ai bouclé avant de sortir : mon sac à dos avec un minimum d’effets de toilette et mon ordinateur.

Denis et Pascal super efficaces et attentifs négocient mon accès à bord sur un avion chargé jusqu’aux dents, me glissent un peu d’espèces en mains puis courent rejoindre le bateau pour les deux plongées qu’ils doivent effectuer avant le retour de l’équipe terrestre. Le catamaran doit lever l’ancre à 17h, il est déjà 11h.

Mais dans le petit aérodrome bondé, ma forme diminue de nouveau. Un début de fièvre montre son nez et la nausée me guette par vagues.

Par malchance, la pluie s’abat sur la piste et le pilote arrête les moteurs : cette piste est l’une des plus dangereuses des Marquises, bâtie sur un plateau élevé et en plein vent, il ne prendra aucun risque. Mentalement je croise les doigts pour que cette pluie aussi tropicale que violente cesse au plus vite et pour que nous puissions enfin embarquer rapidement, et décoller pour rejoindre Tahiti où un hôpital pourrait m’accueillir en cas de dengue sévère. Recommandation du médecin d’Hiva Oa.

Lorsqu’enfin les passagers sont invités à monter à bord, mes gestes raides et mon malaise me ralentissent. Je me retrouve en bout de file d’attente tandis que je rêve d’être assise dans cet avion et de fermer les yeux pour chasser la nausée.

Le malaise monte doucement, une bouffée de chaleur puis une douche froide, je sens l’évanouissement venir et dans le brouillard annonciateur je fends soudain la file d’attente comme je n’aurais jamais osé le faire en temps normal. Ici, heureusement, les Marquisiens ne sont pas coutumiers du fait et ne s’offusquent même pas de cette femme qui leur passe sous le nez pour s’approcher de l’employé qui demande leur carte d’embarquement au pied de l’escalier. L’homme lève les yeux sur moi, un peu surpris, je tends ma carte d’une main tremblante, le cœur battant plus fort qu’à l’accoutumée et je vacille…

Il me soutient alors par le coude et fait un signe à l’hôtesse en haut de l’escalier.

ça va madame ? vous êtes malade ?

Je ne pense qu’à une chose : grimper à bord de cet avion et fuir cette île qui ne me vaut rien. Malade on perd facilement toute objectivité.

Je veux changer d’air et me retrouver dans la chambre d’hôtel qu’on a réservé pour moi pour pouvoir m’y cacher quelques heures et être malade en paix et dans la discrétion. Me soigner dans le silence, en croisant les doigts pour ne pas être atteinte par cette dengue qui m’empêcherait de suivre la fin de ce tournage et qui me clouerait au lit une quinzaine de jours. Sans compter le danger d’avoir peut-être contaminé l’un ou l’autre des membres de l’équipe sans lequel le tournage serait fortement handicapé. Je sais que si je parle de dengue, ils refuseront peut-être de m’embarquer, alors j’improvise lâchement :

– « oui, ça va, je suis enceinte et j’ai toujours un peu peur en avion, mais ça va aller… »

Je dois être livide, je suis trempée de sueur mais mes cernes sont crédibles. Et ils me croient. L’hôtesse me tend quelques serviettes en papier avec lesquelles je m’éponge le front puis elle prend mon ordinateur que je serre contre moi comme un bébé, et grimpe les marches de l’escalier. Je la suis le plus vite possible en fonction de mon malaise qui reprend.

Ce n’est qu’assise que je réussis à me calmer et à respirer normalement, elle m’apporte un verre d’eau fraîche et l’évanouissement s’éloigne.

Trois quarts d’heure plus tard nous atterrissons sur l’île de Nuku Hiva, escale obligatoire d’une heure pour réapprovisionner l’appareil en carburant. Puis décollage à nouveau pour trois heures de vol interminable vers Papeete. Je suis incapable de lire, et après ma nuit blanche je n’arrive pourtant pas à dormir. Un signe s’il en est : je ne m’intéresse même pas aux cartes postales paradisiaques qui s’étendent sous l’avion dès que nous survolons les îles polynésiennes.

Arrivée sur l’île de Tahiti, je file vers un taxi et me fais conduire à l’hôtel qui expédie les formalités d’usage quand je précise que je suis malade.

A 17h30, à l’heure où le catamaran lève l’ancre dans une baie d’Hiva Oa, l’Homme m’appelle pour prendre de mes nouvelles : je n’ai pas eu d’autre fièvre pour l’instant, il faut attendre la nuit pour avoir confirmation ou non…

PS : j’ai rédigé cet article dans la nuit, pendant une insomnie d’une heure, et je l’ai publié en profitant de l’Internet de cet hôtel international. Je ne lis pas mes e-mails, et je me rendors quelques minutes plus tard.

PS 2 (août 2020) : neuf ans plus tard j’ai souffert de la dengue, contractée sur l’île de Bali (qui en souffre énormément sans l’annoncer dans les médias pour ne pas effrayer les touristes). J’ai passé quatre jours à l’hôpital international sur l’île de Lombok, sous perfusion et avec un traitement médical léger, avant de m’envoler vers la Californie deux jours plus tard pour me refaire une santé. Il m’a fallu un mois pour me remettre de ces symptômes affaiblissants et d’une perte de poids aussi importante que rapide. Les symptômes étant à peu près similaires à ceux vécu aux Marquises je suis quasiment certaine d’avoir subi la dengue en Polynésie sous une forme bénigne (sans en parler ouvertement à mes collègues du moment pour ne pas les inquiéter). La dengue n’est pas un mal bénin, votre système immunitaire se trouve affaibli, durablement. Je suis plus fragile aujourd’hui que je ne l’étais auparavant. Conclusion : sous des climats tropicaux protégez-vous des moustiques coûte que coûte !

Envie d’en apprendre davantage sur mon voyage aux Marquises ? Voici quelques pistes à explorer :

Cet article a été publié une première fois en juin 2007 pendant mon voyage aux Marquises sur mon blog de voyages Un Monde Ailleurs (2004-2014), blog qui n’est plus en ligne aujourd’hui. Les articles re-publiés sur ce site le sont s’ils présentent à mes yeux une valeur émotionnelle ou s’ils offrent un intérêt informatif pour mes lecteurs. Ils sont rassemblés sous le mot-clé « Un Monde Ailleurs ». Malheureusement il a été impossible de réintégrer les commentaires liés à cet article, seul le nombre de commentaires est resté indiqué.

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