Indonésie, en approche du lac aux méduses sur l’île de Kakaban © Marie-Ange Ostré

Je lis très souvent dans les magazines féminins les revendications quant à l’égalité des salaires pour la même qualification. Je suis d’accord si la femme a aussi la même expérience du métier et si elle montre la même disponibilité. Je parcours également parfois des articles sur des métiers traditionnellement réservés aux hommes, attribués désormais à des femmes. Tout cela me semble justifié, et sans être ce qu’on appelait autrefois une suffragette, ni être une féministe acharnée, j’estime que les femmes ont gagné le droit de travailler, de choisir leur métier, et qu’elles méritent parfois davantage que certains messieurs, mais cette dernière remarque est valable dans les deux sens. Seule la féminisation à outrance de la terminologie des métiers me fait hurler (ex : chauffeuse de bus ?…). L’exagération de bon ton aujourd’hui confine parfois au ridicule.

Mon statut de femme au sein d’une équipe de tournage reste pourtant une exception, j’ai rarement le plaisir de rencontrer mes homologues féminines dans les équipes techniques. En tant que photographe de plateau, j’ai accompagné l’Homme sur le tournage de 94 émissions (89 x 26 mn et 5 x 52 mn) en France et un peu partout dans le monde, et lors de nombreux reportages. A cette occasion, et malgré la multiplicité des équipes fournies par les chaînes nationales ou par notre producteur, je n’ai croisé que 3 femmes en tout et pour tout ! Pourtant si je fais le compte, j’ai donc travaillé avec plus ou moins 219 techniciens de télévision et environ 15 réalisateurs différents.

Chaque fois que j’ai travaillé avec une autre femme dans l’équipe, ce fut un réel plaisir non seulement de faire sa connaissance, mais aussi de la voir s’impliquer autant dans la qualité de son travail : Marie et Florence (opératrices de prise de vue, camerawomen en d’autres termes) et Monique (ingénieur du son) font preuve de compétences élevées et de l’amour de leur job (j’en profite pour les saluer ici !). Elles sont ponctuelles, précises, bosseuses, opiniâtres, souriantes, maniant l’humour et la bonne volonté, et par ailleurs très appréciées de leurs collègues masculins.

Cette rareté fait que dans 99 % des cas, je me retrouve seule femme sur les lieux de tournage. Donc, je m’interroge : pourquoi sont-elles si peu nombreuses dans la profession ?

Qu’on ne me dise pas que la présence d’une femme peut perturber une équipe masculine : celles que j’ai rencontrées étaient largement de taille à se défendre, courtoisement, et leur comportement ne prêtait à aucune équivoque. Mariées ou non, avec ou sans enfants, elles participent aux conversations ambiantes mais ne sortent jamais les photos de leur descendance. Elles n’ont aucune exigence particulière et ne coûtent pas plus cher au producteur puisque de toutes façons chaque technicien dispose de sa chambre individuelle, et souvent elles se contentent d’eau aux repas, elles… Je n’ai jamais entendu aucune d’elles réclamer le fameux « arrêt pipi » qui fait tant jaser. D’autre part, elles souffrent en silence, et quand elles ont une bonne crève ou des cervicales en charpie, elles ont leur pharmacie de secours et dépannent même les autres.

En ce qui me concerne, instinctivement, je m’applique toujours à gommer les aspects de ma personnalité ou des façons d’agir qui mettraient trop en exergue ma féminité. Je ne réclame aucun statut particulier, et je souffre comme les autres du manque d’intimité et / ou de sanitaires parfois (voir mes récits sur nos expéditions en Afrique et en Indonésie par exemple). Mesdames, pas question de beugler après un ongle cassé (ah les gilets de plongée…), de râler contre le démêlage des cheveux (l’enfer après trois plongées sous-marines consécutives !), et quand on navigue 11 heures d’affilée sur une barge dans les marais de l’Okavango à regarder ses collègues masculins se soulager régulièrement dans le fleuve depuis l’arrière du bateau on ne réclame pas l’arrêt sur l’une des berges regorgeant de crocos ou d’hippos… On attend sagement l’escale (au bout de 5 heures) pour essayer de trouver l’espace isolé (et non dangereux), même si les arbres peu nombreux ont tous vue sur le bateau (vous supplierez alors pour obtenir la permission du commissariat local pour utiliser leurs toilettes, et le commissaire acceptera avec bonhomie). Et quand on a le bonheur d’avoir dans l’équipe un régisseur qui a de l’expérience et un tant soit peu de commisération, on lui saute au cou quand il vous annonce après trois jours sans salle de bains dans le bush « veux-tu tester la douche de camp que je viens d’installer ? ».

Bien sûr, pas question d’étaler votre soutien-gorge sur la corde à linge du bateau qui sert de camping flottant depuis six jours. La dentelle serait provocation à côté des caleçons de ces messieurs (mais eux ont l’autorité du nombre !). S’il vous faut vraiment préciser que vous avez besoin d’intimité dans la savane, tant pis pour votre pudeur, ne craignez pas de l’annoncer haut et fort, cela vous évitera un nez à nez inopiné avec l’un de vos collègues (heureusement, vous étiez décente !). Présenté avec humour, ça passe toujours très bien. D’ailleurs ils sont bien élevés (merci à leurs mamans respectives !) et se montrent compréhensifs et respectueux.

Vous devrez aussi savoir prendre votre douche en 3 mn chrono puisque toute l’équipe en fait autant et qu’il y va de votre fierté de gazelle de ne pas mettre l’équipe en retard pour le sacro-saint dîner dûment mérité par tous. Peut-être vous coifferez-vous discrètement à l’arrière du véhicule ou du catamaran… Si vos collègues masculins ne rechignent pas devant la douche en commun, ou s’ils exposent leurs fesses nues (au mieux) en sortie de plongée, détournez-vous discrètement et ne les imitez pas pour autant… On ne pardonne pas aux femmes ce qui semble naturel aux hommes. Le paréo sera votre meilleur complice. D’ailleurs, en refusant gentiment de vous joindre à la baignade collective dans cette rivière de Bornéo qui sert aussi de toilettes municipales pour ce village de jungle, vous serez la seule à ne pas souffrir d’une belle colique galopante le lendemain !

Au restaurant vous n’êtes pas tenue de descendre le même nombre de bières. Et personne ne vous condamne à manger aussi épicé (quoique… mes collègues sont souvent très prudents sur les épices, l’expérience…). Disons que vous n’êtes pas obligée de commander comme eux le cassoulet à tous les repas, vous ne feriez pas le (même) poids. Par contre, s’il n’y a pas le choix du menu ne piquez pas une crise de nerfs devant le énième plat de nouilles frites : il n’y a que ça, et vous ferez régime au retour. D’ailleurs avec cette chaleur et deux ou trois plongées par jour, il y a fort à parier que vous rentrerez fitness. On prend rarement du poids en tournage sur des expéditions de ce genre.

On ne s’offre pas non plus une crise d’hystérie devant les cafards (partout dans le monde) ni devant ces saletés d’araignées, grosses ou petites. On sait que, traditionnellement, une femme n’aime pas ça. Or j’ai découvert que beaucoup d’hommes non plus, cependant ils le taisent davantage. La plupart seront trop heureux de chasser la bestiole qui vous grimpe dessus, ou au moins de vous prévenir. S’ils vous claquent la cuisse, c’est à cause de la mouche tsé-tsé qui pensait goûter de la Française au bord du lac Malawi. Et s’ils vous balancent une chiquenaude sur l’épaule, c’est pour le moustique porteur du palu qui s’apprêtait à pomper le reste de globules qu’il vous reste encore.

Quand pour des raisons de surcoût de production on vous impose une restriction de bagages pour quelques jours, soyez compréhensive et montrez-vous solidaire : l’ingénieur du son ne peut pas se restreindre sur le matériel qu’il emporte, alors laissez vos bouteilles d’après-shampoing à l’hôtel. Si le cameraman a besoin d’une petite source de lumière supplémentaire, offrez donc votre miroir de poche qui fera réflecteur. De toutes façons, pendant un tournage, il y en a forcément un qui vous demandera à vous, femme, si vous n’auriez pas (au choix) : un Kleenex, de l’aspirine, une pince à épiler, un pansement adhésif, un bonbon, un chiffon, un élastique à cheveux, un petit peu d’eau, un stick pour les lèvres, de l’écran solaire, un chewing-gum, du fil, un sac poubelle, un stylo, du papier blanc, de la Biafine, des lunettes de soleil, du baume du tigre, des pastilles pour la gorge, une casquette, de la ficelle, un sac de voyage de poche pour le duty-free, un livre, une aiguille, du papier toilette, une épingle à nourrice, de la place dans vos bagages,…

Et puisque chacun fait son métier, mettez le vôtre à leur disposition : si vous rapportez 3 ou 400 photos chaque soir à l’hôtel (selon les tournages), n’hésitez pas à les photographier en situation également (ils le sont rarement et manquent de photos d’eux en action). Ils vous en seront reconnaissants lorsqu’ils recevront votre CD au retour (annoncez-leur un léger délai d’attente, vous aurez trop de travail en rentrant et certains ne comprennent pas que l’on ait une seconde vie de retour au bercail). D’autre part, s’ils sont équipés d’appareils photos numériques, offrez donc votre ordinateur pour transférer leurs cartes pleines. En échange ils seront ravis de vous apprendre quelques ficelles de leur métier, et vous vous retrouverez un jour, casque sur les oreilles, à faire de la prise de son tandis que l’ingénieur court à l’autre bout de l’île pour une autre raison !

Travail d'équipe dans le froid polaire du Groenland, avec Patrick Luzeux (assis) et Nicolas Dubreuil au talkie-walkie

Evidemment, de temps en temps, vous serez confrontée à votre propre force physique. Si d’habitude vous mettez un point d’honneur à gérer (avec un peu de bon sens et d’organisation), là est le rare écueil. Lorsque tous ces musclés (la plupart sont de gré ou de force des sportifs accomplis, essayez donc de porter toute une journée d’affilée sur l’épaule une caméra qui pèse ses 13 kilos…), passeront le gué en sautillant allègrement (ils sont souvent plus grands que vous), ne couinez pas si vos deux pieds se plantent dans l’eau glacée, quelques vingt centimètres avant le sable sec… S’il faut grimper d’une traite un raidillon interminable en Guyane, sac au dos (vous haïrez votre bouteille d’eau indispensable), n’hésitez pas à jouer de l’humour : après tout le photographe n’est pas l’élément indispensable au tournage de cette scène-là, faites-les donc passer devant. Vous retrouverez les moins aguerris au virage suivant, ils ont juste attendu d’être hors de vue pour souffler un peu. Rassurez-vous, vous trouverez toujours un homme compréhensif qui trouvera une solution pour vous aider. Ou bien s’ils sont concentrés (on les comprend) sur le transport de leur propre équipement, il se trouvera bien un guide local pour vous enlever d’autorité la bouteille de plongée que vous vous apprêtiez à reprendre sur votre dos après avoir retrouvé votre respiration : il connaît, lui, les passages délicats sur les poutres branlantes sur lesquelles il va vous falloir passer pour atteindre le lac de Kakaban (Indonésie), et son compère vous indiquera « not this one !!! » juste avant l’accident… Voir la photo en tête d’article.

En échange de ces menus services (arrangez-vous pour qu’ils soient peu fréquents), rendez-vous utile, soyez une oreille attentive pour les petits moments de déprime ou de découragement, ils en ont tous un jour ou l’autre. Achetez pour leur famille les petits colliers artisanaux auprès des tribus ou les cartes postales à l’aéroport pendant qu’ils sont occupés à tourner une scène (si vous ne travaillez pas vous-même), aidez-les à choisir le bracelet au duty-free pour leur fille aînée, sortez au bon moment le paquet de biscuits qui réveillera une équipe moribonde (j’ai même apporté un jour sur un tournage une pleine boîte de pâtisseries orientales, ils ont adoré !), servez d’assistante au réalisateur en mal de réservation d’hôtel pour la nuit qui approche, improvisez-vous scripte pour dépanner un autre de ces messieurs en proie aux problèmes de raccords pour le tournage du lendemain, l’organisation est votre domaine, alors assurez ! Si l’un d’entre eux affiche grise mine au petit matin, sortez les comprimés. Et pour celui qui se fait une égratignure au soir du troisième jour, faites un emplâtre d’antibiotiques avant le premier signe d’infection (il faudra 10 jours pour que ça commence à cicatriser sous le climat botswanais pour un professionnel dont le métier est de se tremper tous les jours). Réconfortez ceux qui ont le blues de la famille restée à la maison, vous pouvez comprendre.

Et souriez. Souriez. Souriez. Après tout, une femme c’est aussi là pour cela !

Chaque tournage est une extraordinaire aventure humaine, faite d’efforts, de solidarité, de tolérance et de complicité. J’ai partagé avec certains de ces messieurs de merveilleux moments d’émotion (ah… le chant des femmes San en Namibie !), des fous rires (sur la barge au Botswana, dans la détresse d’un déluge de pluie), des galères (interminables journées de transfert dans le Pacifique),… Certains comprennent mes impératifs de travail et collaborent carrément ou font au moins attention à ce que je puisse atteindre aussi mes objectifs (merci à Pierre Stine, à Patrick Luzeux, à René Heuzey, à Didier Noirot,…). D’autres m’épaulent et ne sont pas avares de leur amitié, de leur soutien ou de leurs conseils (MERCI René !), beaucoup me racontent leur métier ou me confient leurs soucis. Sur un tournage on oublie les différences de genre, et dans les difficultés nous ne sommes souvent plus qu’un.

Il m’est en fait très, très rarement arrivé de me sentir « de trop » sur un tournage, mais je pense qu’il s’agissait surtout d’un manque de compatibilité de personnalités, ce que tout un chacun peut expérimenter un jour ou l’autre avec hommes ou femmes. Certains (très peu !) confondent tournage et « bande de potes », la présence d’une femme dans ce cas limite forcément la gauloiserie… Néanmoins la grande majorité apprécie d’avoir un élément féminin dans l’équipe, et quand je les retrouve après les tournages, nous sommes toujours très heureux de nous retrouver. Je me suis même fait de vrais amis.

Alors messieurs les producteurs, activez vos réseaux et trouvez-moi des compagnes de travail !…

Partager sur les réseaux c'est me soutenir :
Pin Share

Comments 2

N'hésitez pas à commenter ou à poser des questions, je réponds volontiers !

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.