Nous sommes en tournage sur l’île de la Martinique, mon second séjour pour moi. Il nous faut faire vite, comme d’habitude, et s’adapter à toutes les circonstances.
Lorsque l’on travaille avec une équipe de professionnels de la plongée sous-marine, il faut savoir se montrer à la hauteur en toutes circonstances. J’ai été engagée en décembre 2004 pour suivre les tournages de l’émission en tant qu’éclairagiste sous-marin, j’étais très heureuse, mais j’avais prévenu : « je n’ai que 250 plongées loisir inscrites sur mon carnet de plongée, j’ai un niveau II même si des pros m’accordent un niveau III du fait de mon expérience en diverses circonstances, je ne suis jamais descendue au-delà de –45m, je fais de la photo sous-marine depuis trois ans, et j’ai servi d’éclairagiste de temps en temps pour un professionnel de la photo sous-marine ! ».
Or, malgré tous les efforts et toute la bonne volonté du monde, malgré le défi d’être la plupart du temps la seule femme dans une équipe d’hommes, ce n’est pas toujours facile…
Après une semaine de travail intensif à Paris pour préparer le départ vers la Martinique afin d’y filmer le second épisode de cette 3ème saison, après une nuit blanche la veille du départ pour tout boucler, après un vol de 9 heures sans dormir une seule minute et un décalage horaire de 6 heures, nous atterrissons aux Antilles en début de soirée et nous roulerons encore deux bonnes heures avant d’atteindre notre hôtel au Carbet, proche de Saint-Pierre.
Il est 23h et évidemment, nos cinq gaillards ont faim ! En bons citadins, nous voici déambulant à pieds dans le village, allant de déception en éclats de rire à la recherche d’un improbable restaurant qui accepterait de nous faire oublier le maigre repas pris dans l’avion. Nous sommes en Martinique, nous rêvons de colombo de poulet et d’acras de morue… pourtant nous dînerons (avec plaisir !) d’une part de pizza qu’une baraque à frites a eu la gentillesse de nous servir juste avant sa fermeture.
Retour à l’hôtel vers 1h du matin, préparation du matériel de plongée et de l’appareil-photo pour le lendemain, puis au lit. Mais… impossible de dormir ! Une nouvelle nuit blanche qui s’égrène au fil des réflexions sur le travail accompli au cours de la semaine et sur le retard à rattraper en rentrant… Un lever du jour au chant des oiseaux, un petit déjeuner hâtivement englouti, puis direction le bateau. J’ai un peu mal au crâne, je me sens légèrement barbouillée (trop de fatigue), et j’avance un pas après l’autre malgré le soleil, les palmiers, et la bonne ambiance générale.
Première surprise : le bateau de plongée est en fait une barque traditionnelle de pêcheur, avec ses planches en bois en guise de sièges et son fond large pour y caser les caisses de matériel. Typique, beaucoup de charme. Pourtant ce n’est pas tout à fait l’embarcation idéale pour y transporter le matériel de prises de vue et une équipe de tournage. Petit contre-temps lorsque le réalisateur explique posément au responsable du centre de plongée que nous ne pourrons manifestement pas emporter tout notre matériel de prises de vue et de prise de son à la nage et à bout de bras vers la barque qui danse sur les vagues, à 50 mètres de la plage… Il faut d’abord rallier un ponton, à deux kilomètres de là. Notre mise à l’eau est retardée d’autant.
Quand enfin nous avons enregistré la séquence interview de Michel Metery (l’homme qui a découvert la première épave dans la baie de Saint-Pierre), la matinée est presque terminée et nous nous dirigeons vers le large pour notre première plongée. Nous n’avons que cinq jours de tournage prévus sur place, séquences sous-marines et extérieures inclues. Il faut faire vite, ne pas perdre de temps.
Je me sens fatiguée physiquement, je commence à avoir faim, je n’ai pas fermé l’oeil depuis 48 heures.
Je suis toujours un peu nerveuse parce que je débute dans ce métier d’éclairagiste sous-marin et malgré la gentillesse du réalisateur sous-marin – René Heuzey – que j’assiste sous l’eau, je crains déjà sans l’exprimer à haute voix de lui faire rater LA séquence inoubliable !
Aux Bahamas, un mois auparavant, j’étais sous la direction d’un autre cameraman de talent, Didier Noirot, ancien de la Calypso de Cousteau et gigantesque gaillard à la forte personnalité qui a eu le « privilège » de me former sur le terrain (sous la surface donc !). Deux grands professionnels, mais deux caractères différents et deux façons de travailler sous l’eau ; je sais que je vais devoir m’adapter immédiatement à une autre méthode de travail, et à un matériel différent, mais je n’ai pas de problème avec cela.
En vérifiant l’étanchéité de mes batteries d’éclairage (harnachement encombrant qui me plombe de 7 kilos supplémentaires… ce que je découvrirai trop tard), je comprends que le grand Albert Falco et son compère, Michel Metery, vont nous accompagner sous l’eau.
Falco, mon grand-père (marin de métier) en parlait avec admiration. L’animateur et René partagent alors mon sentiment : flattés de pouvoir plonger avec lui et respectueux de cet homme de légende. Tout plongeur rêve de passer un jour la surface avec une légende de la plongée.
Je soulève avec effort ma bouteille de plongée (une lourde 15 litres tandis que je n’utilise habituellement que des 12l), et le moniteur local (qui ne sait rien du poids de mon matériel d’éclairage) insiste pour que j’ajoute un kilo de plus à ma ceinture tandis qu’avec une bouteille acier je n’ai normalement besoin d’aucun plomb. Trop respectueuse de son expérience je n’ose le contredire.
J’enjambe avec difficulté cette curieuse barque aux flancs décidément trop hauts et trop arrondis, pas du tout adaptée à la plongée sous-marine, et je passe sous la surface.
Il s’agit d’une plongée dite de réadaptation, nous ne devrions pas faire trop d’efforts après un long voyage en avion, d’autant que nous n’avons bien sûr pas respecté les 24 heures de rigueur entre un vol (altitude) et une plongée sous-marine. Pas le temps !
Tout plongeur rêve de passer un jour la surface avec Albert Falco, une légende de la plongée…
René est déjà à l’eau, réglant sa caméra protégée par le caisson. Le réalisateur et nos deux anciens de la Calypso se mettent à l’eau. Un signe de surface, René s’enfonce et je le suis.
Par miracle ce matin-là mes oreilles passent sans difficulté (j’apprendrais quelques mois plus tard que je souffre d’une déformation de la paroi nasale ce qui m’occasionne régulièrement des douleurs lors des descentes quand je n’ai pas plongé depuis un moment), et je sonde avec René vers le fond.
Nous nous stabilisons vers -15m. René lève l’objectif et fait signe à l’animateur : il faut le filmer dans sa descente dans le bleu. L’éclairage n’est pas nécessaire, il est encore tôt dans la journée, le soleil inonde la surface et offre une luminosité suffisante. L’animateur et ses hôtes passent en trombe à nos côtés et nous nous retournons pour continuer à les filmer, en les suivant avec des coups de palmes que nous voulons calmes afin de ne pas perturber l’équilibre de la prise de vue.
Vingt mètres… trente mètres… trente-cinq mètres… mes oreilles se mettent à bourdonner, ma vue se trouble légèrement… Je suis toute proche de René, à le toucher, tout va bien.
Quarante mètres… les battements de mon coeur s’accélèrent et je sais par expérience qu’il s’agit d’un second signe…
Les autres devant moi se sont stabilisés devant un petit tombant couvert d’éponges et de gorgones filaires. Je sens, plus que je ne vois, René qui se positionne et je sais qu’il va avoir besoin de mon éclairage à cette profondeur afin de restituer les couleurs éclatantes de cette flore sous-marine. Pourtant, je me sens couler davantage… Je m’oblige à expirer profondément et je gonfle mon gilet stabilisateur afin de stopper cette descente infernale. Je vois René qui me cherche, je m’agace de ce retard que je suis en train de créer et je palme activement pour remonter à sa hauteur, juste à temps pour allumer mes 2 lampes de 500 watts.
Le bourdonnement dans mes oreilles a cessé, mais à un léger vertige je sais que je ne suis pas encore sortie d’affaire. Je me sais légèrement narcosée, cette fameuse ivresse des profondeurs que l’on ressent tous un jour ou l’autre issue de diverses circonstances.
Il faudra près de trois minutes pour que mon organisme encaisse cette descente trop rapide pour moi et pour que je réussisse à gonfler suffisamment mon gilet (beaucoup plus que d’habitude !) pour me stabiliser et cesser de palmer comme une malade afin de rester stable un mètre juste au-dessus de l’objectif de René. Je déteste les bouteilles en acier, trop lourdes pour moi. Et j’aurais dû être ferme et refuser la ceinture de plombs qui m’aspire vers le fond. Je me mettrais des gifles !
Le reste de la plongée se déroule sans encombres, j’évolue normalement, en toute conscience et j’apprécie même cette première séance de travail avec René Heuzey.
Voir évoluer Albert Falco et Michel Metery avec l’animateur est un vrai bonheur, et un honneur. Ces deux messieurs remontent en surface avant nous pendant que nous filmons encore quelques séquences supplémentaires de faune et une démonstration de l’animateur qui plonge sa main dans le sable volcanique, résidus de cette spectaculaire éruption de la Montagne Pelée un siècle auparavant.
Nous sommes toujours à quarante mètres de fond lorsque René fait signe que l’on peut remonter. Il a suffisamment de rushs pour cette plongée (les rushs ce sont ces innombrables petites séquences filmées parmi lesquelles le réalisateur fera son choix pour le montage final de l’épisode).
Nous entamons notre remontée, dans les règles de l’art cette fois. On ne badine pas avec la remontée, jamais. Mais au palier, René aperçoit un poisson qui l’intéresse et il nous fait signe de ne pas l’attendre tout en s’éloignant de quelques mètres. Nous le surveillons d’un oeil pendant que nous gardons l’autre sur notre ordinateur de plongée.
Au palier je lève les yeux vers la surface, je vois danser la barque sur les flots et… mon vertige me reprend. Mes oreilles se remettent à bourdonner, je me sens aux limites du malaise et je subis des nausées violentes. Pas de souci, aux Bahamas j’avais appris à vomir sous l’eau, en enlevant le détendeur au bon moment. Epuisée, vidée, je regrette alors cette nuit blanche passée à compter les heures et la précédente à boucler tous les dossiers en cours !
René fait signe à l’animateur de le rejoindre. A cette profondeur nul besoin d’éclairage, la luminosité ambiante est suffisante. Je fais comprendre que tout va bien de mon côté et que je peux remonter seule, ces messieurs s’éloignent un peu et je remonte vers la barque lentement.
En surface ils ont mis une échelle sur le flanc de la barque, indispensable accessoire sur cet étrange bateau ! Mais je suis lessivée, essoufflée, et il faudra l’assistance de Michel Metery pour m’aider à sortir de l’eau avec tout mon matériel d’éclairage, bouteille sur le dos, et réintégrer enfin la profondeur de cette barque.
A bord, j’ai le souffle coupé, je fais signe en souriant que tout va bien, mais l’expérience de Falco va faire miracle : après 37 ans passés sur la Calypso du commandant Cousteau auprès de plongeurs tous aussi expérimentés les uns que les autres, mon malaise ne lui est pas étranger. Il ôte mes palmes en silence et avec efficacité, m’aide à m’asseoir et m’enlève ma bouteille. Pendant que je reprends mon souffle, il verse sur ma tête la moitié d’une bouteille d’eau minérale puis m’oblige à boire le reste : « il faut se réhydrater tout de suite, ça va passer !« . Alors je bois. Et ça passe, en effet…
Moralité : si vous manquez d’expérience, ne vous hasardez pas à plonger à -45 mètres en descendant d’avion ! Vérifiez votre lestage en surface et ne vous laissez pas imposer des kilos supplémentaires si vous êtes habitué à votre matériel. Et si vous êtes fatigué(e) en arrivant sur votre lieu de vacances, ne vous jetez pas à l’eau, prenez d’abord le temps de vivre !
L’animateur et René ont décidé en remontant que je ne replongerais plus de la journée. Punie ! Mais c’était plus prudent. Même si j’aurais pu, sans aucun problème, faire 2 heures plus tard la troisième plongée de la journée dans 20 mètres de profondeur. D’un autre côté… j’ai eu le temps de sympathiser à bord avec Falco et lorsqu’il s’est aperçu pour la seconde plongée que l’une de ses palmes était inutilisable, j’ai eu le plaisir de lui proposer les miennes !
Ce n’est pas le souvenir le plus glorieux de mon histoire de plongeuse, mais il fut riche en enseignements et je ne ferai à l’avenir plus jamais les mêmes erreurs.
Et puis vous en connaissez beaucoup vous des plongeurs qui ont prêté leurs palmes à Albert Falco ?!…
Cet article a été publié une première fois en août 2006 sur mon blog de voyages Un Monde Ailleurs (2004-2014), blog qui n’est plus en ligne aujourd’hui. Les articles re-publiés sur ce site le sont s’ils présentent à mes yeux une valeur émotionnelle ou s’ils offrent un intérêt informatif pour mes lecteurs. Ils sont rassemblés sous le mot-clé « Un Monde Ailleurs ». Malheureusement il a été impossible de réintégrer les commentaires liés à cet article, seul le nombre de commentaires est resté indiqué.
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Blogueuse voyage depuis 2004, auteure, photographe, éditrice du magazine Repérages Voyages (en ligne, gratuit). Française, j’ai exploré 82 pays au fil des ans et vécu en différents endroits de notre belle planète (La Réunion, île Maurice, Suisse, Indonésie, Espagne). Très attachée au ton « journal de bord » plutôt qu’à une liste d’infos pratiques. Mon objectif ? Partager mes expériences de voyages avec ceux qui n’ont pas la possibilité de partir aussi souvent.
Nous sommes en tournage sur l’île de la Martinique, mon second séjour pour moi. Il nous faut faire vite, comme d’habitude, et s’adapter à toutes les circonstances.
Lorsque l’on travaille avec une équipe de professionnels de la plongée sous-marine, il faut savoir se montrer à la hauteur en toutes circonstances. J’ai été engagée en décembre 2004 pour suivre les tournages de l’émission en tant qu’éclairagiste sous-marin, j’étais très heureuse, mais j’avais prévenu : « je n’ai que 250 plongées loisir inscrites sur mon carnet de plongée, j’ai un niveau II même si des pros m’accordent un niveau III du fait de mon expérience en diverses circonstances, je ne suis jamais descendue au-delà de –45m, je fais de la photo sous-marine depuis trois ans, et j’ai servi d’éclairagiste de temps en temps pour un professionnel de la photo sous-marine ! ».
Or, malgré tous les efforts et toute la bonne volonté du monde, malgré le défi d’être la plupart du temps la seule femme dans une équipe d’hommes, ce n’est pas toujours facile…
Après une semaine de travail intensif à Paris pour préparer le départ vers la Martinique afin d’y filmer le second épisode de cette 3ème saison, après une nuit blanche la veille du départ pour tout boucler, après un vol de 9 heures sans dormir une seule minute et un décalage horaire de 6 heures, nous atterrissons aux Antilles en début de soirée et nous roulerons encore deux bonnes heures avant d’atteindre notre hôtel au Carbet, proche de Saint-Pierre.
Il est 23h et évidemment, nos cinq gaillards ont faim ! En bons citadins, nous voici déambulant à pieds dans le village, allant de déception en éclats de rire à la recherche d’un improbable restaurant qui accepterait de nous faire oublier le maigre repas pris dans l’avion. Nous sommes en Martinique, nous rêvons de colombo de poulet et d’acras de morue… pourtant nous dînerons (avec plaisir !) d’une part de pizza qu’une baraque à frites a eu la gentillesse de nous servir juste avant sa fermeture.
Retour à l’hôtel vers 1h du matin, préparation du matériel de plongée et de l’appareil-photo pour le lendemain, puis au lit. Mais… impossible de dormir ! Une nouvelle nuit blanche qui s’égrène au fil des réflexions sur le travail accompli au cours de la semaine et sur le retard à rattraper en rentrant… Un lever du jour au chant des oiseaux, un petit déjeuner hâtivement englouti, puis direction le bateau. J’ai un peu mal au crâne, je me sens légèrement barbouillée (trop de fatigue), et j’avance un pas après l’autre malgré le soleil, les palmiers, et la bonne ambiance générale.
Première surprise : le bateau de plongée est en fait une barque traditionnelle de pêcheur, avec ses planches en bois en guise de sièges et son fond large pour y caser les caisses de matériel. Typique, beaucoup de charme. Pourtant ce n’est pas tout à fait l’embarcation idéale pour y transporter le matériel de prises de vue et une équipe de tournage. Petit contre-temps lorsque le réalisateur explique posément au responsable du centre de plongée que nous ne pourrons manifestement pas emporter tout notre matériel de prises de vue et de prise de son à la nage et à bout de bras vers la barque qui danse sur les vagues, à 50 mètres de la plage… Il faut d’abord rallier un ponton, à deux kilomètres de là. Notre mise à l’eau est retardée d’autant.
Quand enfin nous avons enregistré la séquence interview de Michel Metery (l’homme qui a découvert la première épave dans la baie de Saint-Pierre), la matinée est presque terminée et nous nous dirigeons vers le large pour notre première plongée. Nous n’avons que cinq jours de tournage prévus sur place, séquences sous-marines et extérieures inclues. Il faut faire vite, ne pas perdre de temps.
Je me sens fatiguée physiquement, je commence à avoir faim, je n’ai pas fermé l’oeil depuis 48 heures.
Je suis toujours un peu nerveuse parce que je débute dans ce métier d’éclairagiste sous-marin et malgré la gentillesse du réalisateur sous-marin – René Heuzey – que j’assiste sous l’eau, je crains déjà sans l’exprimer à haute voix de lui faire rater LA séquence inoubliable !
Aux Bahamas, un mois auparavant, j’étais sous la direction d’un autre cameraman de talent, Didier Noirot, ancien de la Calypso de Cousteau et gigantesque gaillard à la forte personnalité qui a eu le « privilège » de me former sur le terrain (sous la surface donc !). Deux grands professionnels, mais deux caractères différents et deux façons de travailler sous l’eau ; je sais que je vais devoir m’adapter immédiatement à une autre méthode de travail, et à un matériel différent, mais je n’ai pas de problème avec cela.
En vérifiant l’étanchéité de mes batteries d’éclairage (harnachement encombrant qui me plombe de 7 kilos supplémentaires… ce que je découvrirai trop tard), je comprends que le grand Albert Falco et son compère, Michel Metery, vont nous accompagner sous l’eau.
Falco, mon grand-père (marin de métier) en parlait avec admiration. L’animateur et René partagent alors mon sentiment : flattés de pouvoir plonger avec lui et respectueux de cet homme de légende. Tout plongeur rêve de passer un jour la surface avec une légende de la plongée.
Je soulève avec effort ma bouteille de plongée (une lourde 15 litres tandis que je n’utilise habituellement que des 12l), et le moniteur local (qui ne sait rien du poids de mon matériel d’éclairage) insiste pour que j’ajoute un kilo de plus à ma ceinture tandis qu’avec une bouteille acier je n’ai normalement besoin d’aucun plomb. Trop respectueuse de son expérience je n’ose le contredire.
J’enjambe avec difficulté cette curieuse barque aux flancs décidément trop hauts et trop arrondis, pas du tout adaptée à la plongée sous-marine, et je passe sous la surface.
Il s’agit d’une plongée dite de réadaptation, nous ne devrions pas faire trop d’efforts après un long voyage en avion, d’autant que nous n’avons bien sûr pas respecté les 24 heures de rigueur entre un vol (altitude) et une plongée sous-marine. Pas le temps !
Tout plongeur rêve de passer un jour la surface avec Albert Falco, une légende de la plongée…
René est déjà à l’eau, réglant sa caméra protégée par le caisson. Le réalisateur et nos deux anciens de la Calypso se mettent à l’eau. Un signe de surface, René s’enfonce et je le suis.
Par miracle ce matin-là mes oreilles passent sans difficulté (j’apprendrais quelques mois plus tard que je souffre d’une déformation de la paroi nasale ce qui m’occasionne régulièrement des douleurs lors des descentes quand je n’ai pas plongé depuis un moment), et je sonde avec René vers le fond.
Nous nous stabilisons vers -15m. René lève l’objectif et fait signe à l’animateur : il faut le filmer dans sa descente dans le bleu. L’éclairage n’est pas nécessaire, il est encore tôt dans la journée, le soleil inonde la surface et offre une luminosité suffisante. L’animateur et ses hôtes passent en trombe à nos côtés et nous nous retournons pour continuer à les filmer, en les suivant avec des coups de palmes que nous voulons calmes afin de ne pas perturber l’équilibre de la prise de vue.
Vingt mètres… trente mètres… trente-cinq mètres… mes oreilles se mettent à bourdonner, ma vue se trouble légèrement… Je suis toute proche de René, à le toucher, tout va bien.
Quarante mètres… les battements de mon coeur s’accélèrent et je sais par expérience qu’il s’agit d’un second signe…
Les autres devant moi se sont stabilisés devant un petit tombant couvert d’éponges et de gorgones filaires. Je sens, plus que je ne vois, René qui se positionne et je sais qu’il va avoir besoin de mon éclairage à cette profondeur afin de restituer les couleurs éclatantes de cette flore sous-marine. Pourtant, je me sens couler davantage… Je m’oblige à expirer profondément et je gonfle mon gilet stabilisateur afin de stopper cette descente infernale. Je vois René qui me cherche, je m’agace de ce retard que je suis en train de créer et je palme activement pour remonter à sa hauteur, juste à temps pour allumer mes 2 lampes de 500 watts.
Le bourdonnement dans mes oreilles a cessé, mais à un léger vertige je sais que je ne suis pas encore sortie d’affaire. Je me sais légèrement narcosée, cette fameuse ivresse des profondeurs que l’on ressent tous un jour ou l’autre issue de diverses circonstances.
Il faudra près de trois minutes pour que mon organisme encaisse cette descente trop rapide pour moi et pour que je réussisse à gonfler suffisamment mon gilet (beaucoup plus que d’habitude !) pour me stabiliser et cesser de palmer comme une malade afin de rester stable un mètre juste au-dessus de l’objectif de René. Je déteste les bouteilles en acier, trop lourdes pour moi. Et j’aurais dû être ferme et refuser la ceinture de plombs qui m’aspire vers le fond. Je me mettrais des gifles !
Le reste de la plongée se déroule sans encombres, j’évolue normalement, en toute conscience et j’apprécie même cette première séance de travail avec René Heuzey.
Voir évoluer Albert Falco et Michel Metery avec l’animateur est un vrai bonheur, et un honneur. Ces deux messieurs remontent en surface avant nous pendant que nous filmons encore quelques séquences supplémentaires de faune et une démonstration de l’animateur qui plonge sa main dans le sable volcanique, résidus de cette spectaculaire éruption de la Montagne Pelée un siècle auparavant.
Nous sommes toujours à quarante mètres de fond lorsque René fait signe que l’on peut remonter. Il a suffisamment de rushs pour cette plongée (les rushs ce sont ces innombrables petites séquences filmées parmi lesquelles le réalisateur fera son choix pour le montage final de l’épisode).
Nous entamons notre remontée, dans les règles de l’art cette fois. On ne badine pas avec la remontée, jamais. Mais au palier, René aperçoit un poisson qui l’intéresse et il nous fait signe de ne pas l’attendre tout en s’éloignant de quelques mètres. Nous le surveillons d’un oeil pendant que nous gardons l’autre sur notre ordinateur de plongée.
Au palier je lève les yeux vers la surface, je vois danser la barque sur les flots et… mon vertige me reprend. Mes oreilles se remettent à bourdonner, je me sens aux limites du malaise et je subis des nausées violentes. Pas de souci, aux Bahamas j’avais appris à vomir sous l’eau, en enlevant le détendeur au bon moment. Epuisée, vidée, je regrette alors cette nuit blanche passée à compter les heures et la précédente à boucler tous les dossiers en cours !
René fait signe à l’animateur de le rejoindre. A cette profondeur nul besoin d’éclairage, la luminosité ambiante est suffisante. Je fais comprendre que tout va bien de mon côté et que je peux remonter seule, ces messieurs s’éloignent un peu et je remonte vers la barque lentement.
En surface ils ont mis une échelle sur le flanc de la barque, indispensable accessoire sur cet étrange bateau ! Mais je suis lessivée, essoufflée, et il faudra l’assistance de Michel Metery pour m’aider à sortir de l’eau avec tout mon matériel d’éclairage, bouteille sur le dos, et réintégrer enfin la profondeur de cette barque.
A bord, j’ai le souffle coupé, je fais signe en souriant que tout va bien, mais l’expérience de Falco va faire miracle : après 37 ans passés sur la Calypso du commandant Cousteau auprès de plongeurs tous aussi expérimentés les uns que les autres, mon malaise ne lui est pas étranger. Il ôte mes palmes en silence et avec efficacité, m’aide à m’asseoir et m’enlève ma bouteille. Pendant que je reprends mon souffle, il verse sur ma tête la moitié d’une bouteille d’eau minérale puis m’oblige à boire le reste : « il faut se réhydrater tout de suite, ça va passer !« . Alors je bois. Et ça passe, en effet…
Moralité : si vous manquez d’expérience, ne vous hasardez pas à plonger à -45 mètres en descendant d’avion ! Vérifiez votre lestage en surface et ne vous laissez pas imposer des kilos supplémentaires si vous êtes habitué à votre matériel. Et si vous êtes fatigué(e) en arrivant sur votre lieu de vacances, ne vous jetez pas à l’eau, prenez d’abord le temps de vivre !
L’animateur et René ont décidé en remontant que je ne replongerais plus de la journée. Punie ! Mais c’était plus prudent. Même si j’aurais pu, sans aucun problème, faire 2 heures plus tard la troisième plongée de la journée dans 20 mètres de profondeur. D’un autre côté… j’ai eu le temps de sympathiser à bord avec Falco et lorsqu’il s’est aperçu pour la seconde plongée que l’une de ses palmes était inutilisable, j’ai eu le plaisir de lui proposer les miennes !
Ce n’est pas le souvenir le plus glorieux de mon histoire de plongeuse, mais il fut riche en enseignements et je ne ferai à l’avenir plus jamais les mêmes erreurs.
Et puis vous en connaissez beaucoup vous des plongeurs qui ont prêté leurs palmes à Albert Falco ?!…
Blogueuse voyage depuis 2004, auteure, photographe, éditrice du magazine Repérages Voyages (en ligne, gratuit). Française, j’ai exploré 82 pays au fil des ans et vécu en différents endroits de notre belle planète (La Réunion, île Maurice, Suisse, Indonésie, Espagne). Très attachée au ton « journal de bord » plutôt qu’à une liste d’infos pratiques. Mon objectif ? Partager mes expériences de voyages avec ceux qui n’ont pas la possibilité de partir aussi souvent.
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