Février, 9:00 du matin, mer calme et temps superbe. Notre séjour plongée en Egypte s’achève doucement et nous sommes à Marsa Shagra avec Red Sea Diving Safari. Les photos s’amoncellent sur mon petit disque externe de 80 Go, mais ici la moisson est infinie tant les sites que nous explorons incitent à plus encore. Pendant les vingt minutes de bateau vers le site de Sharm Abbu Dabbab, nous croisons deux tortues qui affleurent en surface, demoiselles placides à peine perturbées par notre apparition soudaine. Une petite respiration, et elles disparaissent pour un autre voyage. Il est temps pour nous de les imiter…
Immersion le long d’un petit récif dans une eau très claire, avec très peu de courant. Tout en réajustant machinalement mon équipement, mon regard rebondit déjà sur de gros buissons de coraux de toutes formes, toutes couleurs. L’Homme règle quelques paramètres sur son Canon 5D et Julien me montre du doigt trois carangues au sourire carnassier qui freinent à peine devant nous avant de poursuivre leur chemin avec une détermination sans faille.
Avec ce tapis de coraux sous les palmes, je n’attends guère pour piquer vers le fond sur une dizaine de mètres et commencer à fouiller du regard pour dénicher la petite bête qui manque à mon palmarès sur ce séjour. Centimètre par centimètre, en gardant un œil sur le photographe occupé un peu plus loin, je débusque gobies et poissons papillons, anthias et dominos, mérous et poissons perroquets. Je progresse lentement tant il y a à voir mais les deux hommes m’entraînent un peu plus loin, au-dessus de porites tubulaires. Ailleurs ce sont des coraux coniques de couleur lavande qui accrochent mon regard. Puis nous survolons un épais tapis de corail mou, d’un pourpre cardinal, toutes fleurs dansant au gré d’un très léger courant. Je n’ai jamais vu ce type de corail auparavant, il me faudra trouver son nom plus tard, dans un guide spécialisé.
Mais en relevant la tête j’écarquille soudain les yeux. Des sardines ?… Non ! Des barracudas. Un énorme banc de barracudas juvéniles, longs d’une trentaine de centimètres, en rangs serrés comme autant de mini torpilles suspendues dans moins de quinze mètres de profondeur. La première surprise passée, nous échangeons un regard avec Julien qui, après dix jours passés en notre compagnie sur terre et sous l’eau, comprend instantanément la situation : nous effectuons tous les deux un large virage chacun de notre côté pour prendre en tenaille le banc de barracudas et offrir ainsi à l’Homme, trop heureux, des opportunités de photos avec une silhouette de plongeur dans le banc. Et en nous approchant très, très lentement, nous réussissons à nous intégrer dans le banc de poissons qui ne songent plus à fuir. Le flash crépite plusieurs fois…
Soudain le banc frémit puis s’éparpille en une large fleur de feu d’artifice : nos carangues chasseresses sont entrées dans la danse et œuvrent à leur déjeuner avec une vivacité exceptionnelle (photo en tête d’article). Comme du vif argent elles se jettent avec fougue à droite, puis à gauche, dispersant les barracudas désorientés. Et nous avons beau tenter de les isoler pour notre photographe, elles glissent entre les mailles de notre filet humain sans sourciller.
Nous passons trente bonnes minutes avec les barracudas, le temps de les observer, pour essayer de comprendre pourquoi ils restent stationnaires, groupés dans cette légère houle qui les balance d’avant en arrière moins d’un mètre au-dessus d’une colline de corail. Et nous espérons le passage d’un requin. En vain…
Un premier platax passe à moins de deux mètres de moi, presque nonchalamment. Si sa présence ne me fait pas tomber à la renverse, le fait qu’il soit de taille plus que respectable m’incite à attirer l’attention de l’Homme et en élargissant mon champs de vision je vois soudain… 25 plataxs suivrent le premier ! Une classe entière, se promenant tranquillement au-dessus d’un dédale de coraux formant refuges et anfractuosités dans lesquels ils s’égarent dès que le photographe s’approche. J’ai beau essayer de bloquer la route de quatre ou cinq d’entre eux, ils disparaissent à gauche, sous un corail feuille, ou à droite, sous des coraux de feu. Julien tente de me prêter main forte mais il nous faut nous écarter de quelques mètres, attendre deux ou trois minutes, puis les plataxs surgissent par paires d’un peu partout, comme autant de bulles remontant en surface ; farouches, ils se regroupent avant de sonder vers d’autres profondeurs qui nous tentent moins aujourd’hui…
En vérité, il y a trop à faire, trop à voir sur ce vaste terrain de jeu, de cinq à trente mètres de profondeur seulement ! Julien nous a prévenu que nous verrions un ensemble de grottes et de canyons mais le jardin de corail qui les précède est si riche qu’il nous faudra revenir une autre fois. Un mérou lippu nous fait de l’œil avant d’être remplacé par un gros chirurgien à la caudale acérée et au ventre brun. Puis c’est une farandole de lutjans qui nous fait perdre la tête, s’ébattant follement en une danse savamment orchestrée sous nos yeux attentifs. Et derrière l’épais rideau des costumes rayés de jaune, c’est la silhouette lente et massive d’une grosse tortue qui surgit en guise de conclusion à cette plongée récréative…
Il reste quelques photos à faire sur la carte numérique de 2 Go et l’Homme, qui vient pourtant de me signaler qu’il est passé sur sa réserve, me fait un signe qui n’admet aucune contradiction : à distance raisonnable de l’animal pour ne pas l’effrayer, je m’aligne à ses côtés et tente de rester à sa hauteur pour offrir au photographe une présence humaine dans le sillage de la demoiselle au bec recourbé. Je ne sais quel est l’œil qui me fascine le plus : celui du hublot grand angle du caisson sous-marin ou l’œil rond et noir de ma nouvelle amie… Mais la futée m’entraîne sur un tempo puissant et mon palmage doit se maintenir à l’unisson pour ne pas me laisser distancer et risquer les foudres de l’artiste. Pas simple de rester proche d’un animal dont les circonvolutions sont imprévisibles, en veillant à ne pas la toucher, ne pas la heurter, tout en restant à l’écoute des indications du photographe qui, par signes, m’oriente en fonction de l’éclairage, de son éloignement aussi… Mais la photo est prise.
Je décroche la première, mettant un terme à mes efforts pour laisser s’éloigner la tortue qui, fait curieux, va se retourner quelques mètres plus loin, comme pour nous narguer, nous faire comprendre que, décidément, nous humains, ne sommes pas très opiniâtres.
Mais je sais que l’Homme va avoir besoin d’assistance sous peu puisque… voilà le signe, et je file le rejoindre d’un coup de palmes pour lui tendre mon détendeur de secours : il vient de sécher sa bouteille. Une vilaine habitude… Mon ordinateur indique une eau à 22°, mais j’ai à peine froid en ce dernier jour de plongée, et pourtant nous sommes restés 77 minutes sous l’eau. Je frôle la réserve en autonomie et il est temps de songer à remonter en surface. Julien nous accompagne avec le sourire, comptant les bénitiers encroûtés dont les lèvres charnues semblent nous envoyer un dernier baiser. Le baiser de la Mer Rouge…
Blogueuse voyage depuis 2004, auteure, photographe, éditrice du magazine Repérages Voyages (en ligne, gratuit). Française, j’ai exploré 82 pays au fil des ans et vécu en différents endroits de notre belle planète (La Réunion, île Maurice, Suisse, Indonésie, Espagne). Très attachée au ton « journal de bord » plutôt qu’à une liste d’infos pratiques. Mon objectif ? Partager mes expériences de voyages avec ceux qui n’ont pas la possibilité de partir aussi souvent.
Février, 9:00 du matin, mer calme et temps superbe. Notre séjour plongée en Egypte s’achève doucement et nous sommes à Marsa Shagra avec Red Sea Diving Safari. Les photos s’amoncellent sur mon petit disque externe de 80 Go, mais ici la moisson est infinie tant les sites que nous explorons incitent à plus encore. Pendant les vingt minutes de bateau vers le site de Sharm Abbu Dabbab, nous croisons deux tortues qui affleurent en surface, demoiselles placides à peine perturbées par notre apparition soudaine. Une petite respiration, et elles disparaissent pour un autre voyage. Il est temps pour nous de les imiter…
Immersion le long d’un petit récif dans une eau très claire, avec très peu de courant. Tout en réajustant machinalement mon équipement, mon regard rebondit déjà sur de gros buissons de coraux de toutes formes, toutes couleurs. L’Homme règle quelques paramètres sur son Canon 5D et Julien me montre du doigt trois carangues au sourire carnassier qui freinent à peine devant nous avant de poursuivre leur chemin avec une détermination sans faille.
Avec ce tapis de coraux sous les palmes, je n’attends guère pour piquer vers le fond sur une dizaine de mètres et commencer à fouiller du regard pour dénicher la petite bête qui manque à mon palmarès sur ce séjour. Centimètre par centimètre, en gardant un œil sur le photographe occupé un peu plus loin, je débusque gobies et poissons papillons, anthias et dominos, mérous et poissons perroquets. Je progresse lentement tant il y a à voir mais les deux hommes m’entraînent un peu plus loin, au-dessus de porites tubulaires. Ailleurs ce sont des coraux coniques de couleur lavande qui accrochent mon regard. Puis nous survolons un épais tapis de corail mou, d’un pourpre cardinal, toutes fleurs dansant au gré d’un très léger courant. Je n’ai jamais vu ce type de corail auparavant, il me faudra trouver son nom plus tard, dans un guide spécialisé.
Mais en relevant la tête j’écarquille soudain les yeux. Des sardines ?… Non ! Des barracudas. Un énorme banc de barracudas juvéniles, longs d’une trentaine de centimètres, en rangs serrés comme autant de mini torpilles suspendues dans moins de quinze mètres de profondeur. La première surprise passée, nous échangeons un regard avec Julien qui, après dix jours passés en notre compagnie sur terre et sous l’eau, comprend instantanément la situation : nous effectuons tous les deux un large virage chacun de notre côté pour prendre en tenaille le banc de barracudas et offrir ainsi à l’Homme, trop heureux, des opportunités de photos avec une silhouette de plongeur dans le banc. Et en nous approchant très, très lentement, nous réussissons à nous intégrer dans le banc de poissons qui ne songent plus à fuir. Le flash crépite plusieurs fois…
Soudain le banc frémit puis s’éparpille en une large fleur de feu d’artifice : nos carangues chasseresses sont entrées dans la danse et œuvrent à leur déjeuner avec une vivacité exceptionnelle (photo en tête d’article). Comme du vif argent elles se jettent avec fougue à droite, puis à gauche, dispersant les barracudas désorientés. Et nous avons beau tenter de les isoler pour notre photographe, elles glissent entre les mailles de notre filet humain sans sourciller.
Nous passons trente bonnes minutes avec les barracudas, le temps de les observer, pour essayer de comprendre pourquoi ils restent stationnaires, groupés dans cette légère houle qui les balance d’avant en arrière moins d’un mètre au-dessus d’une colline de corail. Et nous espérons le passage d’un requin. En vain…
Un premier platax passe à moins de deux mètres de moi, presque nonchalamment. Si sa présence ne me fait pas tomber à la renverse, le fait qu’il soit de taille plus que respectable m’incite à attirer l’attention de l’Homme et en élargissant mon champs de vision je vois soudain… 25 plataxs suivrent le premier ! Une classe entière, se promenant tranquillement au-dessus d’un dédale de coraux formant refuges et anfractuosités dans lesquels ils s’égarent dès que le photographe s’approche. J’ai beau essayer de bloquer la route de quatre ou cinq d’entre eux, ils disparaissent à gauche, sous un corail feuille, ou à droite, sous des coraux de feu. Julien tente de me prêter main forte mais il nous faut nous écarter de quelques mètres, attendre deux ou trois minutes, puis les plataxs surgissent par paires d’un peu partout, comme autant de bulles remontant en surface ; farouches, ils se regroupent avant de sonder vers d’autres profondeurs qui nous tentent moins aujourd’hui…
En vérité, il y a trop à faire, trop à voir sur ce vaste terrain de jeu, de cinq à trente mètres de profondeur seulement ! Julien nous a prévenu que nous verrions un ensemble de grottes et de canyons mais le jardin de corail qui les précède est si riche qu’il nous faudra revenir une autre fois. Un mérou lippu nous fait de l’œil avant d’être remplacé par un gros chirurgien à la caudale acérée et au ventre brun. Puis c’est une farandole de lutjans qui nous fait perdre la tête, s’ébattant follement en une danse savamment orchestrée sous nos yeux attentifs. Et derrière l’épais rideau des costumes rayés de jaune, c’est la silhouette lente et massive d’une grosse tortue qui surgit en guise de conclusion à cette plongée récréative…
Il reste quelques photos à faire sur la carte numérique de 2 Go et l’Homme, qui vient pourtant de me signaler qu’il est passé sur sa réserve, me fait un signe qui n’admet aucune contradiction : à distance raisonnable de l’animal pour ne pas l’effrayer, je m’aligne à ses côtés et tente de rester à sa hauteur pour offrir au photographe une présence humaine dans le sillage de la demoiselle au bec recourbé. Je ne sais quel est l’œil qui me fascine le plus : celui du hublot grand angle du caisson sous-marin ou l’œil rond et noir de ma nouvelle amie… Mais la futée m’entraîne sur un tempo puissant et mon palmage doit se maintenir à l’unisson pour ne pas me laisser distancer et risquer les foudres de l’artiste. Pas simple de rester proche d’un animal dont les circonvolutions sont imprévisibles, en veillant à ne pas la toucher, ne pas la heurter, tout en restant à l’écoute des indications du photographe qui, par signes, m’oriente en fonction de l’éclairage, de son éloignement aussi… Mais la photo est prise.
Je décroche la première, mettant un terme à mes efforts pour laisser s’éloigner la tortue qui, fait curieux, va se retourner quelques mètres plus loin, comme pour nous narguer, nous faire comprendre que, décidément, nous humains, ne sommes pas très opiniâtres.
Mais je sais que l’Homme va avoir besoin d’assistance sous peu puisque… voilà le signe, et je file le rejoindre d’un coup de palmes pour lui tendre mon détendeur de secours : il vient de sécher sa bouteille. Une vilaine habitude… Mon ordinateur indique une eau à 22°, mais j’ai à peine froid en ce dernier jour de plongée, et pourtant nous sommes restés 77 minutes sous l’eau. Je frôle la réserve en autonomie et il est temps de songer à remonter en surface. Julien nous accompagne avec le sourire, comptant les bénitiers encroûtés dont les lèvres charnues semblent nous envoyer un dernier baiser. Le baiser de la Mer Rouge…
Blogueuse voyage depuis 2004, auteure, photographe, éditrice du magazine Repérages Voyages (en ligne, gratuit). Française, j’ai exploré 82 pays au fil des ans et vécu en différents endroits de notre belle planète (La Réunion, île Maurice, Suisse, Indonésie, Espagne). Très attachée au ton « journal de bord » plutôt qu’à une liste d’infos pratiques. Mon objectif ? Partager mes expériences de voyages avec ceux qui n’ont pas la possibilité de partir aussi souvent.
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