boulerecit.jpgAhhh la plongée… On en rêve tout au long de l’année, surtout quand on est coincé derrière un bureau, à regarder les faux poissons lâcher des bulles sur un économiseur d’écran en guise de carotte. Puis on imagine ses prochaines vacances, on fait des projets, on se renseigne, et… c’est décidé, je pars aux Similan. Ou aux Philippines. Ou à Malpelo, voir les requins-marteaux !

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On est content, on a payé, c’est réservé. Et on a trois ou six mois devant soi pour imaginer le voyage dans ses moindres détails, pour se repaître à l’avance des futures aventures, chercher des compagnons de voyage, élaborer les petites anecdotes qu’on racontera aux collègues quand on rentrera…

Et bien sûr, on a fait l’impasse sur ce qui nous tracasse bien un peu mais… allez, on a l’habitude maintenant ! On verra bien.

Vient le grand jour, celui où on découvre son bateau. Evidemment, un plongeur ça doit forcément monter sur un bateau tôt ou tard. Mais entre faire 30 mn avec tous les chevaux du Yamaha lancés à fond pour rejoindre un site de plongée, et passer une nuit en mer (voire plusieurs) pour rejoindre sa destination finale (ou suivre la croisière dont on a tant rêvé), il y a une marge, que dis-je, une faille !, qu’on n’osait pas évoquer clairement.

Figurez-vous que pour nous, c’est pareil !

Une équipe de tournage est composée de ceux qu’on peut communément appeler des « Grands Voyageurs », dégainant les cartes Fréquence de toutes les compagnies aériennes à vous faire pâlir une hôtesse de l’air, grands pros de l’optimisation du sac de voyage, experts de la trousse de toilette indestructible, collectionneurs d’astuces conjuguant confort et rapidité. Mais cette poignée d’hommes a la même interrogation crispée au coin de l’œil quand le capitaine du bateau dont nous venons de faire connaissance nous annonce : nous quitterons la marina de Miami vers 21:00 pour pouvoir naviguer de nuit et arriver au petit matin à Bimini (50 miles à parcourir, une broutille), mais avant cela nous vous servirons le dîner parce qu’en mer ce sera impossible de rester à table et étant donné les conditions météo je vous demande de ranger dans les soutes le maximum de vos bagages et de ne rien suspendre dans vos cabines qui pourrait vous tomber dessus pendant la traversée. Si certains ont encore quelques hésitations avec leur anglais, ils ont pourtant bien compris : nous échangeons des sourires faussement narquois et fusent alors les « qui a du Mercalm ? » ou « les patchs ça marche vraiment contre le mal de mer ? »…

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L’équipe s’affaire alors en silence sur le pont inférieur (photo), nous venons tout juste d’embarquer et nous devrons tourner le lendemain matin, donc il faut impérativement que toutes les batteries des caméras et des phares sous-marins soient rechargées pendant la nuit. Ce qui signifie déballer les caisses, puis les reconditionner pour les fermer de façon hermétique : sur un bateau, tout craint l’eau ! Et surtout notre matériel…

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Sur Ocean Explorer (photo en tête d’article), nous disposons d’une cabine à quatre couchettes, et de deux autres à deux couchettes. Les deux plus petites peuvent être assimilées à des placards mais elles offrent plus d’intimité. L’Homme étant normalement plus aguerri au mal de mer, je décide que je prendrai la couchette du bas : s’il me faut bondir sur le pont en cas d’urgence, j’aime autant savoir que je ne risque pas de dégringoler d’abord de ma couchette en me cassant une jambe. René s’affaire autour des convertisseurs (toujours ces soucis d’électricité) et Nicolas passe les derniers coups de fil vers Paris.

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Le dîner nous est servi une heure plus tard, dès que les dernières caisses ont été solidement arrimées dans la cale. Deux d’entre nous profitent d’un réseau wifi offert négligemment par l’un des gros yachts ultra luxueux qui nous surplombe de ses baies vitrées fumées quelques mètres plus loin. Une cigarette pour les uns, la brosse à dents pour les autres, le capitaine donne l’ordre de larguer les amarres. Nous savons qu’il nous faudra environ 20 mn pour aborder la haute mer, le temps de dépasser les rives de Miami Beach et ses buildings d’appartements haut de gamme. Telle une volée de moineaux, nous vaquons soudain avec fébrilité à nos occupations : le capitaine nous répète la dernière consigne absolue de sécurité, si l’un d’entre vous a besoin de sortir sur le pont cette nuit, il doit impérativement prévenir un collègue et ne pas sortir seul. Juste pour ne pas passer par-dessus bord inaperçu !…

Je vous le promet, ça pose l’ambiance !…

21:15, chacun cale ses petites affaires dans les espaces prévus pour autour de sa couchette. Je m’assure d’avoir bien ma mini bouteille d’eau et je fais la distribution de Mercalm. Je fronce les sourcils quand René m’en chipe un : lui, ce n’est pas normal !… J’hésite donc à en prendre un deuxième tout de suite, mais je me maîtrise : allez, après tout le mal de mer n’est pas mortel. Nicolas, notre producteur qui fait là sa toute première traversée en mer, appréhende un peu et se demande s’il ne va pas mettre un patch en plus de son Mercalm… Bref, nous nous saluons bien vite, et chacun glisse sur sa couchette et tire le rideau qui donne une petite sensation d’intimité, en espérant s’endormir avant de sentir les premiers soubresauts de l’Atlantique qui gronde. L’Homme et moi entrons dans notre placard, pardon notre cabine, et chacun sur sa couchette fait le point avec l’autre sur la journée écoulée. Au rythme d’une houle qui s’installe sournoisement… Deux minutes plus tard, extinction des feux. Nous avons eu une longue journée, et nous devrions nous endormir comme des masses.

Mais je vais passer la nuit à me demander ce que les plongeurs peuvent bien trouver à ces croisières qui les mènent de nuit d’une île à une autre : tous ces accros du partage de cabine, ces aficionados de la mini salle de bains où la douche vous arrose directement au-dessus des toilettes, où il faut vous tenir d’une main au lavabo tout en vous savonnant pour ne pas tituber d’une cloison à l’autre, et vous brosser les dents avec la nausée au bord des lèvres en évitant de vous regarder dans le miroir parce que vous avez tendance à apparaître, disparaître… apparaître, disparaître,…

Quel charme trouvent-ils au gobelet de thé glacé qui oscille dangereusement sous vos yeux pendant que vous avez une main sur votre ordinateur, l’autre sur l’appareil photo, et que vous savez que vous ne pouvez lâcher ni l’un ni l’autre en cas d’urgence ?… Quel plaisir à soutenir, au moins psychologiquement, le compagnon infortuné qui se fracasse le pied en se précipitant trop vite aux toilettes pour régurgiter le bœuf aux oignons servi au dîner (et qui recommencera quatre fois dans la nuit) ?… Quel confort à passer toute une nuit comme le célèbre dessin de Leonard de Vinci, bras et jambes écartés, calés contre le montant de la couchette et la cloison pour être quasi certain de ne pas être jeté au sol à la prochaine houle dévastatrice ?… Quelle adrénaline à écouter mugir le vent toute la nuit, à entendre craquer le bateau, à sentir tous les soubresauts des moteurs pourtant gérés de main de maître par un capitaine très expérimenté qui vous avouera le lendemain qu’il a passé la nuit aux commandes avec une cuvette sur les genoux (qu’il a copieusement utilisée !) ?… Quelle angoisse parfois à sentir la vague soulever le bateau sur une crête pour l’entraîner plus bas quelques secondes plus tard, encore plus bas, bien trop bas (et au fait, comment ça flotte un bateau ?!) ?… Quelle tension à se demander si ce voyage en valait vraiment la peine ? Si vous avez bien dit à votre enfant avant de partir que vous l’aimez ? Et si vous avez envie de rempiler pour le prochain voyage ?…

Moi, je le dis tout net : je n’ai fermé l’œil qu’en entendant les moteurs s’arrêter vers 05:30 du matin, en comprenant que nous avions atteint une zone d’abri, en entendant les amarres heurter un ponton en bois bien rassurant. Réveillée deux heures plus tard par l’odeur de la cannelle chaude (nous avions un super cuistot à bord !), je suis sortie sur le pont ; j’ai croisé le regard fatigué de mes collègues trop pâles et l’œil goguenard des pélicans sous le soleil de Bimini, Bahamas…

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