Indonésie, pêcheurs de baleines © Marie-Ange Ostré

Vivre une telle expérience unique d’immersion complète dans un village de pêcheurs de baleines sur une île indonésienne du bout du monde n’a pas de prix.

L’archipel indonésien compte 17 508 îles éparpillées entre différentes mers dont plus jeune je notais alors scrupuleusement le nom en rêvant d’établir un jour, au crépuscule de ma vie, la liste de celles sur lesquelles j’ai vogué.

Lors de mon premier voyage en Indonésie en septembre 2006 j’ai eu la chance extraordinaire et rare de parcourir dans des conditions très particulières des îles aussi différentes que Bornéo et Bali, Flores, Java et Lembata.

L’île s’appelait Lomblen il y a quelques années, sans explication particulière on la nomme désormais Lembata. Les habitants sur place disent parfois Kawula, ou Kawoela.

Pour moi son nom importe moins que celui des habitants qui m’ont accueillie pour quelques nuits sur celle qui est la plus grande des îles de Solor, parmi les Petites Îles de la Sonde dans l’est de l’Indonésie. Lembata donc est située à l’Est de l’île de Flores. Les touristes ne viennent jamais jusque là, seuls quelques ethnologues étrangers ont poussé la curiosité à venir traîner par ici.

Sur Lembata j’ai passé quelques jours dans le village de Lamalera ou encore Lamaherap selon les orthographes que l’on retrouve sur les cartes, sur la côte sud-ouest, à quelques encablures de l’île du Timor. Je me suis fait des amis en moins de deux heures. Les villageois sont pêcheurs et temps en temps encore pêcheurs de baleine au harpon, descendants de colons portugais, chrétiens dans un archipel à religion dominante musulmane.

Hébergée chez une habitante mettant à disposition des rares visiteurs (moins de 25 en 2006) deux de ses chambres contenant lits et matelas, j’ai profité de son accueil pour rencontrer l’instituteur qui parlait quelques mots d’anglais. Il m’a ensuite présentée aux femmes du village, aux prénoms à consonance portugaise (colons vers 1620) : Dolorès, Maria,… Etrange dans un pays où le prénom des garçons est souvent relatif à son ordre de naissance : premier, second, troisième,… et où la majorité porte un prénom à consonance musulmane.

Mon prénom composé s’est vite transformé en Maria, plus facile à comprendre, plus facile à répéter, plus facile pour communiquer : un prénom aussi universel peut créer des liens, même au bout du monde.

Les enfants prétendent que la peau crue du dauphin croque sous la dent, une friandise qu’ils quémandent avec insistance…

Certaines femmes vivent du tissage de l’ikat, une technique réputée différente sur cette île à l’écart des grands axes de communication. Un tissage pratiqué sur des métiers artisanaux posés à même le sable, tout juste à l’abri d’un soleil qui chauffe à blanc les plages pailletées de cette île volcanique. Trois volcans – actifs – dominent l’île de Lembata. Les volcans forment l’épine dorsale de l’Indonésie.

Les familles de Lamalera vivent essentiellement de la pêche, au gré des campagnes de leurs pères, fils, maris. Une pêche particulière, celle de la chasse à la baleine, même si au quotidien on rapporte surtout du poisson perroquet, des carangues, mais aussi du dauphin et de petites raies manta. On prétend que cette pêche traditionnelle au harpon ne se pratiquerait plus en Indonésie ailleurs qu’ici à Lamalera, et au village de Lamakera, sur l’île voisine de Solor. Vous noterez les orthographes quasi similaires de ces deux villages…

Les hommes admettent qu’il est de plus en plus rare de pêcher une baleine, car elles sont moins nombreuses. Lorsque cela se produit, moins d’une fois par an, la viande alimente le village tout entier pour des mois (en utilisant surtout la technique du séchage au soleil) et permet de vendre le reste au marché pour acheter des biens de consommation courante indispensables.

En septembre 2006 (lors de mon séjour) ce n’était pas la saison des baleines, mais j’ai assisté à un retour de pêche qui heurte les sensibilités occidentales : en fin d’après-midi quelques hommes ont mis pied à terre sur la plage rapportant dans une lumière ambrée deux dauphins harponnés.

Les enfants sautaient de joie, les femmes se sont éparpillées comme une volée de moineaux pour quérir dans leur cuisine plats et ustensiles de fer blanc : quelques minutes plus tard les dauphins étaient bénis par le chef du village puis découpés en parts équitables pour être répartis entre les différentes familles.

Les enfants prétendent que la peau crue du dauphin croque sous la dent, une friandise qu’ils quémandent avec insistance.

Un an plus tard dans le Nord du Groenland je goûterai à celle – plus rare encore – du narval : si la peau est croquante en surface, le centimètre de graisse juste dessous a laissé filtrer sous la pression de mes dents un jet d’huile animale bénéfique à l’organisme des Inuits. J’ai immédiatement repensé à ces enfants de Lamalera qui tendaient la main pour obtenir du chef du village un petit cube de peau de dauphin…

Le lendemain ce sont des ailerons de requins que j’ai photographiés dans le haut du village : pêchés quelques jours auparavant ils avaient été mis à sécher au soleil et attendaient d’être transportés vers le marché de Lewoleba, la grande ville à deux heures de route de là.

Je pratique la plongée sous-marine depuis 1996, je préfère admirer les requins dans les océans plutôt que de voir des ailerons sécher au soleil. Néanmoins je ne me sens pas le droit de juger une population à très faible revenu qui considère le requin, la baleine, le dauphin et la raie manta comme des poissons de consommation.

La cour de la maison de cette Indonésienne était littéralement envahie de vertèbres de baleines que j’aurais sans doute confondues avec des blocs de corail s’ils n’avaient pas eu cette texture particulière des vieux os pas encore tout à fait calcifiés sous le soleil.

J’ignore ce que cette femme pouvait bien faire de ces vertèbres, mais j’en ai trouvé d’autres plus tard sur la plage, sous les bateaux des pêcheurs à l’abri des hangars aux toits de palme, ou formant clôture le long des jardins. Comme autant de pierres blanchies sous le soleil implacable du Sud de l’Indonésie.

Sur Lembata la vie s’écoule au rythme des marées. J’ai le souvenir d’une chaleur infernale émanant des pierres chauffées à blanc, celui aussi des mouches sifflant dans un silence quasi religieux à l’heure de la sieste sur la plage : les enfants s’allongent alors à l’ombre de la coque des bateaux peints de couleur vive, des bateaux de bois fabriqués selon une tradition ancestrale.

Une heure plus tard les hommes ravaudent les filets de pêche et tressent les feuilles de palme jusqu’en fin d’après-midi tandis que les enfants s’ébattent sur la plage…

En 2006 je ne disposais pas du matériel photographique que je promène aujourd’hui à travers le monde. Et surtout je n’avais pas l’expérience ni le savoir-faire. Soyez indulgents, ne cherchez aucun sens artistique à ces photos mais plutôt l’aspect quasi ethnographique de la vie de l’un des derniers villages au monde de pêcheurs à la baleine au harpon.

Ne jugez pas non plus ces hommes et ces femmes par rapport à leur mode de vie différent du nôtre.

Certains voyages laissent une empreinte indélébile, de ces découvertes qui vous marquent à vie, gravant le sillon d’une émotion qui reste intacte bien des années plus tard. Quelques jours vécus dans le village de Lamalera ont inscrit celui-ci sur la liste de mes souvenirs de voyages les plus émotionnels. Parce que l’Indonésie ne laisse pas indifférent, parce qu’elle est multiple au gré de ses îles, selon la religion de ses habitants, selon ses paysages. Parce qu’elle est chaleureuse, et parfois choquante.

De Bali à Flores, de Java à Bornéo, en passant par cette île de Lembata, j’ai laissé une once de moi sur place. Comme si je voulais m’assurer de revenir, un jour…

PS : je vis en Indonésie plusieurs mois par an depuis mi-2012…

Envie d’en apprendre davantage sur mes voyages et ma vie en Indonésie ? Voici quelques pistes à explorer :

Cet article a été publié une première fois en mai 2012 sur mon blog de voyages Un Monde Ailleurs (2004-2014), blog qui n’est plus en ligne aujourd’hui. Les articles re-publiés sur ce site le sont s’ils présentent à mes yeux une valeur émotionnelle ou s’ils offrent un intérêt informatif pour mes lecteurs. Ils sont rassemblés sous le mot-clé « Un Monde Ailleurs ». Malheureusement il a été impossible de réintégrer les commentaires liés à cet article, seul le nombre de commentaires est resté indiqué.

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