Egypte, jeune femme bédouine © Marie-Ange Ostré

Ce matin nous avons plongé sur le site de Daisy au large du village de Wadi Lahami ; une belle plongée à faible profondeur, mais j’en suis ressortie frigorifiée.

En début d’après-midi, Karen von Opstal ayant compris mon désir de rencontrer des Egyptiennes me propose d’aller prendre un café chez l’une d’entre elles. Trop heureuse, j’accepte avec empressement et elle m’embarque à bord d’un 4×4 pour faire une dizaine de kilomètres sur l’unique route qui traverse le désert du Nord au Sud, vers Hamata, le port d’embarquement de tous les bateaux de croisière qui voguent vers St-John’s, jusqu’aux frontières du Soudan.

Hamata ne compte qu’une poignée d’habitations qui semblent sur le point de s’envoler au moindre souffle ; sans ironie aucune elles me font penser aux maisons des trois petits cochons, ce conte d’enfants qui voit disparaître successivement la maison de paille, puis la maison de bois,… et je cherche (sans la trouver) la maison de briques. Ici ce sont des murs en plaques d’aggloméré clouées les unes sur les autres, quelques chutes de tôle dépolie et même des enjoliveurs de voiture fixés pour embellir ou protéger, je ne saurais le déterminer… Et partout sur les murs, l’empreinte de mains trempées dans le sang de l’animal sacrifié pour assurer la protection de ses habitants.

Le 4×4 s’engage parmi ces habitations fragiles, sans route tracée, et s’arrête dans un léger nuage de sable et de poussière devant l’un de ces rectangles sans fenêtres mais d’où émerge déjà une longue silhouette de mousseline bleu sombre. Mon premier regard s’envole vers le large sourire de notre hôtesse et elle me tend les mains, les presse, et me salue d’un Salam Alekoum murmuré avec toute la force de la sincérité, ravie de recevoir.

Assises en tailleur toutes ensemble, nous échangeons sans protocole, dans des effluves âcres de café grillé et de thé brûlant…

Nous laissons nos sandales à l’extérieur et pénétrons sous le toit de notre hôtesse qui nous invite d’un geste ample à nous assoir face à elle sur quelques tapis usés. Une jeune fille de 17 ans nous rejoint aussitôt et s’affaire à rassembler quelques braises sur un couvercle de tôle retourné, posé à même le sol, à même le sable, devant sa mère qui vérifie d’un geste absent mais mille fois répété que son voile ne laisse échapper aucune mèche de cheveux.

Mère et fille s’affairent sans se concerter autour du cérémonial du café et du thé tandis que Karen fait les présentations en arabe. Café au gingembre pour elle, thé pour moi, sourires échangés, un sourire qui monte jusqu’aux yeux qui s’interrogent à propos de cette femme aux cheveux blonds qui ne parle pas un traître mot de cette langue âpre. Je vois bien qu’elle ne comprend pas tout, qu’elle n’osera pas poser trop de questions, pas tout de suite. Je laisse venir, et je regrette de ne parler qu’anglais…

Pendant que la mère jette quelques grains de café dans une petite casserole pour les torréfier, la jeune fille demande à Karen si nous souhaitons du pain. Et Karen accepte, ne serait-ce que pour laisser le plaisir à la silhouette fine et vive de s’échapper dans une petite pièce adjacente pour s’affairer à la cuisson de quelques galettes.

L’eau bout déjà, une fine cafetière est fichée sur les braises, long col de terre cuite aux flancs gravés de motifs géométriques, et je m’esquive discrètement pour suivre l’adolescente trop heureuse de me montrer son savoir-faire. Quand je lève mon appareil photo pour demander l’autorisation de la photographier, elle irradie littéralement et je prends le temps de chercher mon cadrage pour ne pas gâcher l’instant, ne pas en faire trop, et laisser la magie s’installer.

Un mélange d’eau et de poudre de farine, un pétrissage rapide du bout des doigts, la boule de pâte est vite aplatie de quelques coups de paume assassine, puis étalée sur une planche de contreplaqué farinée, roulée avec une simple baguette de bois, affinée jusqu’aux limites du possible et enfin jetée sur une plaque de cuisson circulaire posée sur un feu timide.

Tandis que la gazelle du désert s’attaque déjà à une autre boule de pâte, elle surveille d’un oeil la cuisson de la crêpe tout en prenant le temps de sourire à mon objectif et répète les gestes appris de ses aînées, depuis des générations tandis que quelques maigres rayons de soleil filtrent à travers les planches disjointes baignant la scène d’une lumière quasi biblique.

Je reste accroupie près d’elle quelques minutes, observatrice silencieuse et respectueuse, jusqu’à ce qu’un rire enjoué me fasse revenir à la réalité : elle a terminé, le pain est chaud, il est temps de rejoindre les femmes dans l’autre pièce.

Assises en tailleur toutes ensemble, nous échangeons sans protocole, dans des effluves âcres de café grillé et de thé brûlant, dans les remugles des chèvres qui bêlent non loin et le parfum persistant du feu de bois qui imprègnent toutes les étoffes dont sont recouverts les murs.

Derrière nous, deux lits simples avec quelques couvertures. Aux murs, deux ou trois reproductions saintes, de couleurs vives. Sur la route Karen m’a expliqué que les Bédouines sont élevées par leurs mères ; adolescentes et jusqu’au mariage elles peuvent travailler en tant que vendeuses dans les quelques échoppes environnantes. Puis elles se marient, élèvent leurs enfants et prennent soin des animaux.

Un homme peut se marier jusqu’à quatre fois en Egypte, s’il est Musulman, ce qui est le cas des Bédouins. Mais qu’il fonde une famille ou deux ou quatre simultanément, il doit subvenir aux besoins de ces familles, et les femmes devront veiller sur la mère de leur mari.

En déchirant une galette de pain avec les doigts, je croise le regard de la plus jeune qui me surveille discrètement. Un regard dévorant de curiosité, et plein d’espoir. Je lui souris, je lui tend ce qui reste du pain, elle le saisit, replace son voile anis d’un geste empreint de coquetterie, avec un soupçon de minauderie, et me jette un sourire époustouflant. A son âge nos adolescentes françaises se promènent nombril à l’air avec l’assurance de vieilles routières… Le contraste est flagrant, la jeune pousse devant moi a du mal à tenir en place et je l’imagine raconter ce soir à ses amies du village cette rencontre avec une femme qui regardait beaucoup mais parlait peu… Je souris de nouveau et l’invite à venir regarder les clichés que j’ai pris d’elle tout à l’heure. Je fais une heureuse.

Nous allons passer une bonne heure en leur compagnie, à siroter le thé brûlant, à écouter crépiter le feu, à l’abri du vent du large qui se heurte aux premières montagnes du Sahara. Chacune à notre tour nous posons des questions, et nous y répondons avec retenue.

La plongée du matin est bien loin, et si j’osais, si je le pouvais, je m’allongerais sur un coin du tapis, juste pour oublier tout le reste, pour prendre le temps de profiter de l’instant, jusqu’au bout. En attendant la nuit d’encre, et les étoiles de diamant…

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Cet article a été publié une première fois en avril 2008 sur mon blog de voyages Un Monde Ailleurs (2004-2014), blog qui n’est plus en ligne aujourd’hui. Les articles re-publiés sur ce site le sont s’ils présentent à mes yeux une valeur émotionnelle ou s’ils offrent un intérêt informatif pour mes lecteurs. Ils sont rassemblés sous le mot-clé « Un Monde Ailleurs ». Malheureusement il a été impossible de réintégrer les commentaires liés à cet article, seul le nombre de commentaires est resté indiqué.

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