Brésil, Marie-Ange Ostré prête à plonger dans le Mato Grosso do Sul © René Heuzey

Je suis habituée aux plongées de nuit, mais celle-ci est particulière : plonger dans une rivière du Mato Grosso do Sul au Brésil, pour y rencontrer des anacondas. 

19:00 au fin fond du Mato Grosso do Sul, au Brésil, aux limites du Pantanal. Je pose la bouteille de 10 litres qui me permettra de plonger avec mes compagnons dans moins de trente minutes dans l’une des rivières les plus réputées pour servir de refuge aux anacondas, le plus long serpent aquatique du monde, et l’un des plus dangereux.

Pour conjurer le stress insidieux, les hommes plaisantent sans trop de conviction et je préfère taire les dernières questions que j’aurais pourtant aimé poser.

Concentrés, nous préparons notre équipement de plongée avec davantage de minutie : couteau de plongée à portée de main, phares puissants rechargés à bloc, sifflet d’alerte, nous vérifions chaque détail sous l’oeil indiscret de la caméra qui nous filme.

Nous sommes en tournage au Brésil depuis quatre jours pour la série magazine Carnets de Plongée. Eclairagiste sous-marin, mon rôle est de fournir au réalisateur toute la lumière dont il a besoin pour filmer ses prises de vue subaquatiques.

Comme d’habitude je suis la seule femme dans l’équipe, aucun moyen de partager mon appréhension. Pire, je me suis fait un devoir sur les tournages de ne jamais exprimer aucun sentiment qui pourrait être associé, de près ou de loin, à une défaillance soit-disant féminine. Alors, en enfilant ma combinaison Néoprène 3mm, j’observe en silence la rivière opaque qui s’écoule sous le ponton de bois depuis lequel nous allons nous mettre à l’eau. Certains de nos guides brésiliens nous parlaient ce midi des piranhas présents dans ces rivières. Qu’allons-nous dénicher ce soir sous la surface ?…

Ce matin nous filmions dans un site idyllique des poissons néons rouges et bleus de deux ou trois centimètres de long dans une eau cristalline, à faible profondeur, et sans bouteille de plongée. Un bain de jouvence comparé à cette plongée qui nous attend.

Mais les deux hommes sont prêts et je suis la seconde à me glisser dans l’eau noire sous les étoiles de l’hémisphère Sud, en essayant de ne garder en tête que la fraîcheur bienvenue de l’eau dans cette moiteur tropicale. René Heuzey me fait signe d’actionner les deux phares dont je suis responsable et je transforme alors cette encre de seiche en émeraude liquide, révélant algues, plantes, mais surtout racines imbriquées dans une profondeur de moins de trois mètres ! Des difficultés en perspective…

Dans ce capharnaüm subaquatique, j’ai l’impression de traverser la forêt cauchemardesque de Blanche-Neige…

La première d’entre elles est d’assurer l’éclairage des séquences de René : dans l’obligation de me placer toujours au-dessus de son objectif afin de révéler les couleurs chaudes de ces fonds subaquatiques, je bataille dès le début de cette plongée pour le précéder de quelques centimètres tout en restant à une distance constante par rapport à sa progression à lui, et si possible sans soubresauts. Mais comment faire lorsque lui-même est aux prises avec des racines qui le harponnent un mètre plus bas tandis que ma barre de phares tendue à bout de bras heurte des branchages dérivant sans but ?

D’autant que nous espérons les anacondas tout en redoutant de les voir surgir dans la lumière des phares qui devraient les attirer…

Chaque tiraillement sur notre équipement, chaque frôlement sur un bras ou une cuisse, provoque une poussée d’adrénaline : est-ce l’ondulation du reptile ou une branche à la dérive ?…

Hier, dans un face à face rapproché, je me suis offert une petite frayeur : je vous ai déjà raconté ma rencontre avec cet anaconda du Mato Grosso do Sul.

Dans ce capharnaüm subaquatique, j’ai l’impression de traverser la forêt cauchemardesque de Blanche-Neige tant nous devons faire face aux aléas de cette plongée inédite : des troncs submergés qui nous obligent à passer l’un dessous, l’autre au-dessus (et à recommencer trois fois la prise puisque ma tresse est happée chaque fois par une griffe de bois qui joue avec mes cheveux) ; des algues qui s’enroulent autour de la main de René qui sursaute, un courant qui augmente et qui plaque soudain sur le hublot de l’objectif de la caméra des feuilles indisciplinées qui laissent fuser de la part du cameraman des borborygmes de fureur mal contenue.

C’est alors qu’il repère un crabe, un tout petit crabe qui se faufile entre bois fondu et racines fantômes qui se diluent en poudre dès que la caméra s’approche. Sans oublier notre objectif premier, René essaie pendant 10 minutes de filmer ce que nous appelons des illustrations : séquences courtes d’un minuscule poisson étrange dont nous ne découvrirons jamais le nom. A-t-il seulement déjà été répertorié ?…

Nous restons groupés et nous n’oublions pas une seconde le but qui nous est fixé : filmer un anaconda sous l’eau, image rarissime que nous aimerions rapporter à Paris pour ajouter aux séquences inédites des plongées en grotte prévues pour les jours suivants.

Nous continuons à avancer, mètre par mètre, mes deux phares balayant l’eau qui s’épaissit de particules de plus en plus nombreuses. Le courant se montre plus agressif et la profondeur augmente quelque peu.

Un peu plus loin, le fond de sable s’éclaircit pour laisser apparaître quelques roches lustrées par des millénaires d’eau vive. Le sable se soulève sous l’effet d’un courant rasant et nous comprenons très vite la raison de ce changement de paysage : nous sommes arrivés aux abords d’une chute d’eau que nous filmions ce matin, en extérieurs.

Les hommes décident dans un langage muet de tirer parti d’une telle situation et nous nous approchons de concert au plus près de la cascade. Le courant gagne en puissance et mes éclairages deviennent impossibles à gérer : les phares virevoltent malgré les tours de vis et je ne peux plus les maintenir stables en les tenant à bout de bras d’autant que René peine à stabiliser son caisson sous-marin.

Il faut toute l’astuce et l’expérience des deux hommes pour réussir à mettre l’un en scène tandis que le second trouve les angles de prises de vue satisfaisants pour montrer, peut-être pour la première fois, les dessous d’une cascade furieuse.

René m’indique du doigt un endroit depuis lequel mon éclairage diffusera une lumière constante et je peine à m’y rendre tant le courant nous chahute. Malgré tout je réussis à m’agripper à une roche  avec mes deux genoux et à coincer mon coude dans une aspérité : mes éclairages sont enfin fixes et le cameraman peut oeuvrer. Malgré tout, il faut serrer les dents sur nos embouts de détendeur pour les maintenir en bouche et nos masques menacent d’être arrachés à tout moment tant ils vibrent sous les coups de boutoir des remous de cette chute d’eau.

Quatre mètres au-dessus de nos têtes la cataracte se déverse sans discontinuer et nous apprécions malgré tout l’expérience inédite !

Quand les images sont en boîte, René décroche et se laisse emporter par le courant avec son caisson qu’il a fixé prudemment à son gilet stabilisateur à l’aide d’une manille. Nous le suivons en nous laissant glisser jusqu’à retrouver l’enchevêtrement de branches et de racines vermoulues censées dissimuler les reptiles aquatiques les plus longs du monde.

Avec mes phares je balaie soigneusement les moindres recoins pour traquer la bête capable d’atteindre les dix mètres de long et 250 kg, consciente de mes pulsations cardiaques qui ont repris à un rythme inhabituel, et attentive à ne pas me laisser guider par le stress. Pour être efficace il faut garder son calme et ne penser qu’à l’objectif fixé, n’être attentive qu’à la technique pour oublier le danger. Ne pas appréhender le moindre soubresaut dans la lumière de mes phares, rester sur le qui-vive sans redouter l’apparition maléfique d’une gueule capable de se distendre jusqu’à engloutir un alligator ! Alors, pensez, une plongeuse…

Consciente aussi de la présence des deux plongeurs à l’affût et dépendants de mon éclairage pour leur sécurité, je fouille consciencieusement les abords de la rive toute proche, sachant qu’un anaconda peut s’enrouler sur une branche au-dessus de l’eau pour s’y laisser glisser au besoin.

Dans un mélange d’excitation et d’appréhension, je me demande combien de temps nous avons déjà passé sous l’eau pour traquer le serpent souvent assimilé aux boas ou aux pythons. Je ne peux pas lire mon ordinateur de plongée mais pour une fois j’espère discrètement que mes compagnons vont bientôt montrer quelque signe de fin de bouteille ! La plus belle des raisons pour sortir, bredouilles mais l’honneur sauf, de cette eau presque turbide, rouille à force d’être fouillée.

Comme s’il m’avait entendue, c’est René qui se retourne vers moi le premier pour me signifier que nous suspendons cette plongée : l’eau est devenue trop peu limpide pour en tirer, de nuit de surcroît, des images satisfaisantes même si nous rencontrions notre proie. Au bout de soixante-cinq minutes de plongée il est temps de rejoindre le ponton et nous ne nous faisons pas prier cette fois pour nous laisser délester de notre équipement, ce qui nous permet de sortir de l’eau plus rapidement.

Dix minutes plus tard, en rangeant notre matériel, si chacun de nous ressent tout de même la cuisante déception de ne pas avoir rapporté les images tant espérées, nous savons aussi secrètement que ces images n’auraient pas été sans danger.

Malgré cela, habitués à plonger là où d’autres vont rarement, nous aurions aimé vivre cette expérience unique comme d’autres espèrent toute leur vie croiser un requin ou une tortue sous l’eau. N’y voyez aucune prétention, aucune manifestation d’ego, mais si cette plongée nocturne dans un environnement subaquatique de mort nous a procuré la dose d’adrénaline que nous avions imaginée, nous gardons en bouche un petit goût d’amertume de ne pouvoir nous dire : « je l’ai vécu !« .

Demain nous partirons vers un autre site quelques kilomètres plus loin, à la recherche des caïmans cette fois, mais nous ne plongerons pas : on nous l’a interdit. Ce qui n’est pas pour me déplaire…

Pour mieux comprendre mon appréhension sous l’eau, je vous invite à visionner cette vidéo issue d’un documentaire National Geographic montrant un anaconda avalant un capivara (le plus gros rongeur du monde qui peut atteindre plus de 50 kg, je vous montre un photo sur le diaporama ci-dessus). Cette vidéo (filmée elle de jour) rend bien compte également du milieu subaquatique dans lequel nous avons évolué cette nuit-là (racines, branchages, et sédiments extrêmement volatiles).

Envie d’en apprendre davantage sur mes voyages au Brésil ? Voici quelques pistes à explorer :

Cet article a été publié une première fois en avril 2009 sur mon blog de voyages Un Monde Ailleurs (2004-2014), blog qui n’est plus en ligne à ce jour. Les articles re-publiés ici sont tous rassemblés sous le mot-clé « Un Monde Ailleurs ». J’ai ajouté davantage de photos à ces articles en les re-publiant mais malheureusement il a été impossible de réintégrer les commentaires liés à ces articles, seul le nombre de commentaires est resté indiqué.

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