C’est un varan, mystérieux ou effrayant, il est surnommé dragon de Komodo.
Dinosaurien, ce lézard géant intrigue les chercheurs et captive l’imaginaire. J’ai croisé son chemin…
Quand on vous annonce : “faites attention, ils sont dangereux” en abordant sur une île-réserve, vous souriez. Vous en avez vu d’autres ! Et puis quelques pirogues sont là, accostées contre votre embarcation ; les pirogues des Bajaos, ces nomades des mers qui errent d’une île à l’autre de cet immense archipel qu’est l’Indonésie. D’ailleurs, vous êtes venus pour eux, pour voir les fameux varans.
D’eux, vous ne savez pas grand-chose si ce n’est quelques récits grappillés ça et là au hasard de documentaires en noir et blanc sur Arte. Comment un lézard géant peut-il être dangereux ? En Indonésie point de mythologie façon épopée grecque, alors qu’en est-il vraiment ? C’est donc plus curieuse qu’inquiète que j’ai sauté sur le ponton de bois en ce jour de septembre pour une petite balade tranquille sur un chemin serpentant à travers l’île de Rinca.
D’abord, prononcez “Rincha”, à l’indonésienne. Rinca est la petite soeur de la célèbre mais trop fréquentée Komodo ; son orthographe est un peu fantaisiste, sur différentes cartes vous localiserez Rincah ou Rindja.
Ensuite imaginez l’une de ces petites îles de la Sonde coincées entre océan Indien et Pacifique : un caillou en forme de V rongé sur ses côtes, sur 197 km2, couvert de prairies herbeuses et piqueté de forêt dense. Chauffée à blanc sous un soleil torride depuis des mois, ce qui ressemble à une savane embaume l’air d’un parfum de paille.
C’est un regard froid qui vous fixe au-dessus d’une gueule carrée…
Au bout du ponton, deux surprises : d’abord le chemin n’est pas balisé, c’est tout juste un piétinement tracé par une centaine de visiteurs depuis la dernière pluie. Pas de barrière, pas de protection. Ensuite, c’est un varan avachi juste au pied du ponton. Tout juste s’il ne faut pas l’enjamber pour partir à l’aventure sur ce qu’on vous ordonne de ne pas quitter, ce sentier en pleine nature.
Je prends un ou deux clichés du gros paresseux à écailles de cuivre sous un soleil qui accentue sa course vers l’horizon. La fin d’après-midi rend le dragon poussif, il ne soulève pas la moindre paupière, ne bronche pas lorsque je pose une main discrète et légère sur ce qui ressemble à une côte de mailles, froide.
Sur le chemin, un groupe de singes sautilleurs s’ébattent dans l’herbe sèche et un cochon noir grogne en furetant, groin au sol. On me signale des chèvres et de jeunes biches, proies faciles mises à disposition des varans.
Plus loin, la maison de bois du gardien, sur pilotis. Je pense immédiatement aux pluies torrentielles, aux bestioles qui doivent grouiller dans l’humidité de la mousson. Mais en apercevant une cinquantaine de mètres plus loin une demi-douzaine de varans de Komodo, je révise mon jugement : les pilotis épais, les marches hautes sont sans doute destinées à s’isoler de ces monstres lorsqu’ils sont en mal d’alimentation.
Je m’arrête à bonne distance, pour prendre quelques photos d’ensemble. Puis je m’approche tranquillement devant ceux que l’on a un jour surnommé dragons de Komodo, en référence à l’île voisine devenue parc national en 1980. Jusqu’à ce qu’un garde me retienne par le coude : “attention, ils sont capables de partir comme une flèche s’ils ont faim”.
Je m’agenouille, et avance à croupetons pour ne pas attirer l’attention. On prétend qu’ils entendent mal, qu’ils voient mal. Suis-je naïve ? Peut-être. Le lendemain à midi, je verrai l’un de ces lourdauds bondir soudain avec une agilité insoupçonnable vers un visiteur distrait qui ne l’a pas vu venir. Sans dommage, heureusement : le malheureux aurait pu être démembré, ou atteint d’une septicémie.
Qu’on le veuille ou non, c’est lorsque le varan soulève ses lourdes paupières qu’il devient effrayant : couché au sol pattes écartées – plus proche de la silhouette d’un crocodile que de celle d’un gentil lézard de Provence – c’est avec un regard froid qu’il vous fixe au-dessus d’une gueule carrée, grise, aux lèvres cernées de blanc. Des lèvres qui se sont trop frottées au sol rugueux pour éliminer le mucus malodorant des régurgitations de poils, cornes et dents de leurs proies.
Et quand il se soulève lentement sur ses pattes puissantes et griffues, vous reculez.
Parce qu’il secoue doucement la tête, comme s’il humait l’air de sa longue langue fourchue. Une langue de dragon, assurément.
On déplore peu de morts dans la région, les autorités n’en confirment qu’une seule en 2007, celle d’un enfant de 8 ans à Komodo. Pourtant on m’a rapporté sur place des accidents avec des pêcheurs sur une plage, des accidents qui ne sont sans doute pas tous répertoriés officiellement. Par manque d’information, et par souci de discrétion pour ne pas effrayer les touristes.
Le varan de Komodo (Varanus komodoensis) peut mesurer jusqu’à 3 mètres de long et peser 70 kilos en moyenne. C’est le plus grand lézard au monde, on le trouve sur différentes îles de la Sonde, c’est donc une espèce endémique en Indonésie : venu d’Australie il y a quatre millions d’années, il s’est trouvé isolé quand le niveau de la mer est lentement monté. Il peut vivre environ 50 ans, il atteint la maturité sexuelle vers 6 ou 8 ans, la femelle pond de 15 à 30 oeufs d’août à septembre. Capable de courir jusqu’à 20km/h sur de courtes distances, de grimper aux arbres ou de nager sous l’eau à faible profondeur, il est aussi doté d’une soixantaine de dents qui peuvent atteindre 2,5cm de longueur. C’est un redoutable carnivore (souvent solitaire) qui se nourrit de charognes mais aussi d’oiseaux, reptiles, petits cerfs ou cochons (capable d’engloutir 40kg de viande en une journée). Cependant, ce n’est pas sa puissante mâchoire capable de démembrer une proie qui tue mais les bactéries nombreuses dans sa salive, dont certaines n’ont pas été identifiées et contre lesquelles il n’existe pas encore d’anti-dote. Catastrophes naturelles, braconnage et tourisme ont réduit la population des varans à 4 500 individus vivant à l’état sauvage sur les îles de la Sonde dont 350 femelles reproductrices. Inscrit sur la liste des espèces menacées, le dragon de Komodo est désormais protégé par le gouvernement indonésien.
J’ai rédigé cet article pour une publication sur le troisième numéro du magazine de voyages gratuit (et online) Repérages Voyages. Je publie cet article sur ce blog pour lui offrir une seconde vie, et permettre à de nouveaux lecteurs de découvrir mes publications sous toutes leurs formes.
Par ailleurs, et afin d’enrichir votre expérience de lecture, j’en profite pour ajouter davantage de photos ici sur cet article que vous ne verrez pas sur le magazine.
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Note : le parc national de Komodo est inscrit sur la liste du patrimoine mondial naturel de l’UNESCO (lire la fiche ici).
Envie d’en apprendre davantage sur mes voyages et ma vie en Indonésie ? Voici quelques pistes à explorer :
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Blogueuse voyage depuis 2004, auteure, photographe, éditrice du magazine Repérages Voyages (en ligne, gratuit). Française, j’ai exploré 82 pays au fil des ans et vécu en différents endroits de notre belle planète (La Réunion, île Maurice, Suisse, Indonésie, Espagne). Très attachée au ton « journal de bord » plutôt qu’à une liste d’infos pratiques. Mon objectif ? Partager mes expériences de voyages avec ceux qui n’ont pas la possibilité de partir aussi souvent.
C’est un varan, mystérieux ou effrayant, il est surnommé dragon de Komodo.
Dinosaurien, ce lézard géant intrigue les chercheurs et captive l’imaginaire. J’ai croisé son chemin…
Quand on vous annonce : “faites attention, ils sont dangereux” en abordant sur une île-réserve, vous souriez. Vous en avez vu d’autres ! Et puis quelques pirogues sont là, accostées contre votre embarcation ; les pirogues des Bajaos, ces nomades des mers qui errent d’une île à l’autre de cet immense archipel qu’est l’Indonésie. D’ailleurs, vous êtes venus pour eux, pour voir les fameux varans.
D’eux, vous ne savez pas grand-chose si ce n’est quelques récits grappillés ça et là au hasard de documentaires en noir et blanc sur Arte. Comment un lézard géant peut-il être dangereux ? En Indonésie point de mythologie façon épopée grecque, alors qu’en est-il vraiment ? C’est donc plus curieuse qu’inquiète que j’ai sauté sur le ponton de bois en ce jour de septembre pour une petite balade tranquille sur un chemin serpentant à travers l’île de Rinca.
D’abord, prononcez “Rincha”, à l’indonésienne. Rinca est la petite soeur de la célèbre mais trop fréquentée Komodo ; son orthographe est un peu fantaisiste, sur différentes cartes vous localiserez Rincah ou Rindja.
Ensuite imaginez l’une de ces petites îles de la Sonde coincées entre océan Indien et Pacifique : un caillou en forme de V rongé sur ses côtes, sur 197 km2, couvert de prairies herbeuses et piqueté de forêt dense. Chauffée à blanc sous un soleil torride depuis des mois, ce qui ressemble à une savane embaume l’air d’un parfum de paille.
C’est un regard froid qui vous fixe au-dessus d’une gueule carrée…
Au bout du ponton, deux surprises : d’abord le chemin n’est pas balisé, c’est tout juste un piétinement tracé par une centaine de visiteurs depuis la dernière pluie. Pas de barrière, pas de protection. Ensuite, c’est un varan avachi juste au pied du ponton. Tout juste s’il ne faut pas l’enjamber pour partir à l’aventure sur ce qu’on vous ordonne de ne pas quitter, ce sentier en pleine nature.
Je prends un ou deux clichés du gros paresseux à écailles de cuivre sous un soleil qui accentue sa course vers l’horizon. La fin d’après-midi rend le dragon poussif, il ne soulève pas la moindre paupière, ne bronche pas lorsque je pose une main discrète et légère sur ce qui ressemble à une côte de mailles, froide.
Sur le chemin, un groupe de singes sautilleurs s’ébattent dans l’herbe sèche et un cochon noir grogne en furetant, groin au sol. On me signale des chèvres et de jeunes biches, proies faciles mises à disposition des varans.
Plus loin, la maison de bois du gardien, sur pilotis. Je pense immédiatement aux pluies torrentielles, aux bestioles qui doivent grouiller dans l’humidité de la mousson. Mais en apercevant une cinquantaine de mètres plus loin une demi-douzaine de varans de Komodo, je révise mon jugement : les pilotis épais, les marches hautes sont sans doute destinées à s’isoler de ces monstres lorsqu’ils sont en mal d’alimentation.
Je m’arrête à bonne distance, pour prendre quelques photos d’ensemble. Puis je m’approche tranquillement devant ceux que l’on a un jour surnommé dragons de Komodo, en référence à l’île voisine devenue parc national en 1980. Jusqu’à ce qu’un garde me retienne par le coude : “attention, ils sont capables de partir comme une flèche s’ils ont faim”.
Je m’agenouille, et avance à croupetons pour ne pas attirer l’attention. On prétend qu’ils entendent mal, qu’ils voient mal. Suis-je naïve ? Peut-être. Le lendemain à midi, je verrai l’un de ces lourdauds bondir soudain avec une agilité insoupçonnable vers un visiteur distrait qui ne l’a pas vu venir. Sans dommage, heureusement : le malheureux aurait pu être démembré, ou atteint d’une septicémie.
Qu’on le veuille ou non, c’est lorsque le varan soulève ses lourdes paupières qu’il devient effrayant : couché au sol pattes écartées – plus proche de la silhouette d’un crocodile que de celle d’un gentil lézard de Provence – c’est avec un regard froid qu’il vous fixe au-dessus d’une gueule carrée, grise, aux lèvres cernées de blanc. Des lèvres qui se sont trop frottées au sol rugueux pour éliminer le mucus malodorant des régurgitations de poils, cornes et dents de leurs proies.
Et quand il se soulève lentement sur ses pattes puissantes et griffues, vous reculez.
Parce qu’il secoue doucement la tête, comme s’il humait l’air de sa longue langue fourchue. Une langue de dragon, assurément.
On déplore peu de morts dans la région, les autorités n’en confirment qu’une seule en 2007, celle d’un enfant de 8 ans à Komodo. Pourtant on m’a rapporté sur place des accidents avec des pêcheurs sur une plage, des accidents qui ne sont sans doute pas tous répertoriés officiellement. Par manque d’information, et par souci de discrétion pour ne pas effrayer les touristes.
Cliquez sur le lien pour lire mon autre article au sujet du varan ou dragon de Komodo dans l’eau (avec photos rares).
J’ai rédigé cet article pour une publication sur le troisième numéro du magazine de voyages gratuit (et online) Repérages Voyages. Je publie cet article sur ce blog pour lui offrir une seconde vie, et permettre à de nouveaux lecteurs de découvrir mes publications sous toutes leurs formes.
Par ailleurs, et afin d’enrichir votre expérience de lecture, j’en profite pour ajouter davantage de photos ici sur cet article que vous ne verrez pas sur le magazine.
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