On m’avait dit « le désert, c’est grandiose !« . J’en attendais donc beaucoup. Sans doute trop. Le désert, autant le dire, ne m’a pas émue d’emblée. Oui, c’est beau, c’est un autre paysage, d’autres reliefs. Il a fallu me laisser pénétrer par les millénaires qui ont façonné ces montagnes des confins du Sahara pour ressentir la première émotion. Puis, après avoir pris les clichés indispensables de ce temple de Sukait creusé sous la roche au temps de Ptolémée, quand les voix de nos guides se sont éloignées, le souffle de l’Egypte ancienne m’a enfin caressée, avec des murmures d’Histoire aux accents d’Indiana Jones…
Pour moi l’Egypte, c’était ça, le parfum de Cléopâtre (quelle femme tout de même !… elle vécut ses désirs au rythme de son ambition !) mâtiné de méharées de dromadaires chargés d’étoffes et d’encens… Mais en réalité ce voyage ne nous a mené qu’aux frontières de cet imaginaire esquissé par les pages de nos livres d’histoire, il me faudra retourner en Egypte pour goûter davantage la richesse de ces siècles qui ont laissé sur la roche de nombreux pétroglyphes dont je vous reparlerai.
Mais ce jour-là, à près de trois heures de 4×4 du check-point qui gère l’entrée et la sortie des visiteurs, je suis seule devant ces colonnes romaines enchâssées sous la montagne, témoins s’il en faut de la présence des Européens avant l’heure dans cette région où le commerce battait son plein. Autour de moi, un vaste cirque géologique au cœur de Wadi el Gemal. Quelques ruines éparpillées autour de cette ample cuvette témoignent d’une activité florissante quelques siècles auparavant, un gros bourg alors de plusieurs centaines d’habitants qui vivaient là, dans des maisons aux murs de pierres plates empilées, des poutres prouvant que ces bâtisses avaient des étages offrant une certaine aisance aux familles nombreuses.
En me retournant j’aperçois au loin trois Bédouins qui traversent le cirque, se dirigeant vers la Mer, d’où nous venons. Ils vont à pied, avec un troupeau d’une quarantaine de chèvres efflanquées au poil noir, et six chameaux chargés de ballots indistincts. Non ce n’est pas une production hollywoodienne, me voici ramenée dans la réalité des Bédouins du troisième millénaire, de ceux qui ne circulent pas encore en 4×4 et dont les enfants ne vont pas encore tous à l’école de la ville la plus proche, et ceux-là sont de plus en plus rares, incités à la sédentarité par un gouvernement qui souhaiterait maîtriser leur mode de vie pour mieux les contrôler.
La photographe que je suis se précipite à leur rencontre et ralentit à une cinquantaine de mètres. Je rejoins Karen von Opstal, dont je vous reparlerai, Karen qu’il faut un jour rencontrer pour enfin apprendre à trouver belles toutes celles qui ne répondent pas seulement aux critères des magazines féminins, ces femmes qui imposent le respect et l’admiration. Karen vit ici sur les bords de la Mer Rouge depuis dix-sept ans, elle parle l’arabe couramment ainsi que quelques phrases de dialecte bédouin qui lui permet de saluer dans leur langue ceux qui seraient intimidés par sa crinière sauvage de blonde hollandaise. Ils renvoient son salut, d’un geste de la main et échangent quelques mots, sans pour autant ralentir leur allure. Je lève mon appareil photo mais aussitôt une phrase claque dans l’air sec embué d’une poussière de sable soulevée par les animaux. Karen m’arrête d’un geste calme, j’attends, quelques mots de plus, un signe de tête, et elle me dit « ils ne veulent pas de photo, ils pensent que ça leur enlève leur chance« . Je suis déçue bien sûre puisqu’il s’agit là d’une photo traditionnelle, presque folklorique, du désert et de ses hôtes.
Mais la femme en moi baisse bien volontiers l’appareil photo. Etre photographe, c’est bien. Garder le respect des opinions et de la culture des autres, c’est mieux. Je m’incline et me contente alors de les regarder passer,m’imprégnant de cette image que je ne pourrai pas rapporter, autrement que par les mots. Je capture mentalement les sons, les odeurs, les couleurs, pour les retranscrire plus tard. Le bêlement des chèvres psychotiques qui trottinent en cliquetant des sabots contre les cailloux épars du chemin qui n’en est pas un, le reniflement méprisant des dromadaires qui m’observent du coin de l’œil tout en avançant d’un air de ne pas y toucher, la badine sifflante du Bédouin qui ferme la marche en ramenant dans le droit chemin la biquette indisciplinée qui aimerait pousser l’exploration un peu plus loin, le tout dans des effluves musquées de peaux de bêtes lustrées sous le soleil et de déjections naturelles qui roulent au sol comme autant de billes d’ébène qu’il nous faudra éviter dans quelques instants, tout cela le temps que la petite troupe s’éloigne dans la poussière de sable. Quelques minutes à peine, mirage du désert…
En rejoignant notre 4×4 garé une centaine de mètres plus loin, près du seul acacia à même de fournir un peu d’ombre à notre pique-nique, je fouille du pied les roches qui scintillent sous mes pas. Mica aux paillettes d’or qui se dissout en poudre éthérée au moindre effleurement…
Mes trois compagnons, l’Homme, Karen et Julien Stein, prennent place sur la couverture épaisse que Mahmoud a étalé sur le sol. Moi je m’intéresse davantage à ce qu’il prépare pour notre déjeuner et aux brindilles qu’il rassemble pour faire cuire le pain traditionnel. Une couronne de buissons qui seront bientôt ardents, quelques fines branches d’acacia, une étincelle, un souffle de vent, le feu vient de prendre sous les gestes maintes fois répétés. Mahmoud rit de me voir m’activer autour de lui. Un sourire large, qui fend son visage de part en part, le sourire de l’Egypte.
Quelques minutes plus tard je l’épie avec une curiosité plus féminine, l’observant mouiller la farine d’un filet d’eau, pétrir puis étaler la pâte blanche sur une simple toile, et enfin la poser sur les braises presque incandescentes avant de la recouvrir d’une fine couche de cendres brûlantes. Vingt minutes pour cuire ce pain du désert, tout juste le temps qu’il faudra à Mahmoud pour nous offrir une salade composée de tomates, concombres, thon et fromage de chèvres ainsi que l’hoummos dont je raffole. Vient alors le pain à tremper dans cette purée de pois chiches relevée d’un filet d’huile, un pain épais, à la mie aérée, à peine sorti des sables du désert.
Si j’aime les mets délicats et raffinés des grandes tables de ce monde, j’apprécie presque davantage la simplicité d’un repas frustre pris en compagnie choisie dans un site exceptionnel, là où le temps n’a plus prise, là où les valeurs reviennent à l’essentiel. Je devais à Karen, à Julien et à Mahmoud de les remercier ici pour ce festin partagé à l’ombre du passé, en toute sérénité, en toute quiétude.
Blogueuse voyage depuis 2004, auteure, photographe, éditrice du magazine Repérages Voyages (en ligne, gratuit). Française, j’ai exploré 82 pays au fil des ans et vécu en différents endroits de notre belle planète (La Réunion, île Maurice, Suisse, Indonésie, Espagne). Très attachée au ton « journal de bord » plutôt qu’à une liste d’infos pratiques. Mon objectif ? Partager mes expériences de voyages avec ceux qui n’ont pas la possibilité de partir aussi souvent.
On m’avait dit « le désert, c’est grandiose !« . J’en attendais donc beaucoup. Sans doute trop. Le désert, autant le dire, ne m’a pas émue d’emblée. Oui, c’est beau, c’est un autre paysage, d’autres reliefs. Il a fallu me laisser pénétrer par les millénaires qui ont façonné ces montagnes des confins du Sahara pour ressentir la première émotion. Puis, après avoir pris les clichés indispensables de ce temple de Sukait creusé sous la roche au temps de Ptolémée, quand les voix de nos guides se sont éloignées, le souffle de l’Egypte ancienne m’a enfin caressée, avec des murmures d’Histoire aux accents d’Indiana Jones…
Pour moi l’Egypte, c’était ça, le parfum de Cléopâtre (quelle femme tout de même !… elle vécut ses désirs au rythme de son ambition !) mâtiné de méharées de dromadaires chargés d’étoffes et d’encens… Mais en réalité ce voyage ne nous a mené qu’aux frontières de cet imaginaire esquissé par les pages de nos livres d’histoire, il me faudra retourner en Egypte pour goûter davantage la richesse de ces siècles qui ont laissé sur la roche de nombreux pétroglyphes dont je vous reparlerai.
Mais ce jour-là, à près de trois heures de 4×4 du check-point qui gère l’entrée et la sortie des visiteurs, je suis seule devant ces colonnes romaines enchâssées sous la montagne, témoins s’il en faut de la présence des Européens avant l’heure dans cette région où le commerce battait son plein. Autour de moi, un vaste cirque géologique au cœur de Wadi el Gemal. Quelques ruines éparpillées autour de cette ample cuvette témoignent d’une activité florissante quelques siècles auparavant, un gros bourg alors de plusieurs centaines d’habitants qui vivaient là, dans des maisons aux murs de pierres plates empilées, des poutres prouvant que ces bâtisses avaient des étages offrant une certaine aisance aux familles nombreuses.
En me retournant j’aperçois au loin trois Bédouins qui traversent le cirque, se dirigeant vers la Mer, d’où nous venons. Ils vont à pied, avec un troupeau d’une quarantaine de chèvres efflanquées au poil noir, et six chameaux chargés de ballots indistincts. Non ce n’est pas une production hollywoodienne, me voici ramenée dans la réalité des Bédouins du troisième millénaire, de ceux qui ne circulent pas encore en 4×4 et dont les enfants ne vont pas encore tous à l’école de la ville la plus proche, et ceux-là sont de plus en plus rares, incités à la sédentarité par un gouvernement qui souhaiterait maîtriser leur mode de vie pour mieux les contrôler.
La photographe que je suis se précipite à leur rencontre et ralentit à une cinquantaine de mètres. Je rejoins Karen von Opstal, dont je vous reparlerai, Karen qu’il faut un jour rencontrer pour enfin apprendre à trouver belles toutes celles qui ne répondent pas seulement aux critères des magazines féminins, ces femmes qui imposent le respect et l’admiration. Karen vit ici sur les bords de la Mer Rouge depuis dix-sept ans, elle parle l’arabe couramment ainsi que quelques phrases de dialecte bédouin qui lui permet de saluer dans leur langue ceux qui seraient intimidés par sa crinière sauvage de blonde hollandaise. Ils renvoient son salut, d’un geste de la main et échangent quelques mots, sans pour autant ralentir leur allure. Je lève mon appareil photo mais aussitôt une phrase claque dans l’air sec embué d’une poussière de sable soulevée par les animaux. Karen m’arrête d’un geste calme, j’attends, quelques mots de plus, un signe de tête, et elle me dit « ils ne veulent pas de photo, ils pensent que ça leur enlève leur chance« . Je suis déçue bien sûre puisqu’il s’agit là d’une photo traditionnelle, presque folklorique, du désert et de ses hôtes.
Mais la femme en moi baisse bien volontiers l’appareil photo. Etre photographe, c’est bien. Garder le respect des opinions et de la culture des autres, c’est mieux. Je m’incline et me contente alors de les regarder passer, m’imprégnant de cette image que je ne pourrai pas rapporter, autrement que par les mots. Je capture mentalement les sons, les odeurs, les couleurs, pour les retranscrire plus tard. Le bêlement des chèvres psychotiques qui trottinent en cliquetant des sabots contre les cailloux épars du chemin qui n’en est pas un, le reniflement méprisant des dromadaires qui m’observent du coin de l’œil tout en avançant d’un air de ne pas y toucher, la badine sifflante du Bédouin qui ferme la marche en ramenant dans le droit chemin la biquette indisciplinée qui aimerait pousser l’exploration un peu plus loin, le tout dans des effluves musquées de peaux de bêtes lustrées sous le soleil et de déjections naturelles qui roulent au sol comme autant de billes d’ébène qu’il nous faudra éviter dans quelques instants, tout cela le temps que la petite troupe s’éloigne dans la poussière de sable. Quelques minutes à peine, mirage du désert…
En rejoignant notre 4×4 garé une centaine de mètres plus loin, près du seul acacia à même de fournir un peu d’ombre à notre pique-nique, je fouille du pied les roches qui scintillent sous mes pas. Mica aux paillettes d’or qui se dissout en poudre éthérée au moindre effleurement…
Mes trois compagnons, l’Homme, Karen et Julien Stein, prennent place sur la couverture épaisse que Mahmoud a étalé sur le sol. Moi je m’intéresse davantage à ce qu’il prépare pour notre déjeuner et aux brindilles qu’il rassemble pour faire cuire le pain traditionnel. Une couronne de buissons qui seront bientôt ardents, quelques fines branches d’acacia, une étincelle, un souffle de vent, le feu vient de prendre sous les gestes maintes fois répétés. Mahmoud rit de me voir m’activer autour de lui. Un sourire large, qui fend son visage de part en part, le sourire de l’Egypte.
Quelques minutes plus tard je l’épie avec une curiosité plus féminine, l’observant mouiller la farine d’un filet d’eau, pétrir puis étaler la pâte blanche sur une simple toile, et enfin la poser sur les braises presque incandescentes avant de la recouvrir d’une fine couche de cendres brûlantes. Vingt minutes pour cuire ce pain du désert, tout juste le temps qu’il faudra à Mahmoud pour nous offrir une salade composée de tomates, concombres, thon et fromage de chèvres ainsi que l’hoummos dont je raffole. Vient alors le pain à tremper dans cette purée de pois chiches relevée d’un filet d’huile, un pain épais, à la mie aérée, à peine sorti des sables du désert.
Si j’aime les mets délicats et raffinés des grandes tables de ce monde, j’apprécie presque davantage la simplicité d’un repas frustre pris en compagnie choisie dans un site exceptionnel, là où le temps n’a plus prise, là où les valeurs reviennent à l’essentiel. Je devais à Karen, à Julien et à Mahmoud de les remercier ici pour ce festin partagé à l’ombre du passé, en toute sérénité, en toute quiétude.
Blogueuse voyage depuis 2004, auteure, photographe, éditrice du magazine Repérages Voyages (en ligne, gratuit). Française, j’ai exploré 82 pays au fil des ans et vécu en différents endroits de notre belle planète (La Réunion, île Maurice, Suisse, Indonésie, Espagne). Très attachée au ton « journal de bord » plutôt qu’à une liste d’infos pratiques. Mon objectif ? Partager mes expériences de voyages avec ceux qui n’ont pas la possibilité de partir aussi souvent.
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