Quand une plongée sous-marine aux Bahamas m’entraîne plus profond que prévu dans un trou bleu…
Par un soir pluvieux de décembre 2004, dans un taxi parisien, coup de fil du producteur : « on part dans 4 jours les p’tits loups !« . Direction les Bahamas, pour explorer les trous bleus !
Ok…
Puis panique à bord ! Nous avons à peine trois jours pour finaliser les dossiers, les recherches, les courriers, les formalités, et préparer le matériel, les bagages…
Nous attendions ce départ depuis près d’un an, cette fois c’est parti ! Premier épisode de la saison 3 des Carnets de Plongée : les Bahamas, archipel dont rêve la moitié de la planète, ou presque. Nous voulions du soleil, de la chaleur, de l’exotisme.
Après une escale à Zurich puis une autre à Miami et une nuit à Fort Lauderdale, petit jet privé tout de cuir vêtu pour atterrir enfin sur l’île dite la plus sauvage des Bahamas : Andros.
Grand soleil. Et grand vent…
Surprise ! Nous remettons une petite laine.
Sur le bateau, après les plongées nous grelottons littéralement : le vent est frais et le soleil ne suffit pas. Je m’abrite derrière les grandes carcasses de notre équipe sous-marine, armoires à glace patentées. Chaque soir nous apprécions le feu de cheminée dans la salle à manger et certains d’entre nous emprunterons aux collègues un pull ou un sweat-shirt pour tenir pendant toute la durée du séjour. Ce sera le seul bémol de notre séjour sur Andros en décembre.
Mais nous sommes aux Bahamas pour explorer un trou bleu, ou plusieurs si l’occasion se présente. Et elle se présentera.
Avez-vous déjà plongé dans un trou bleu ? Je ne parle pas des cenotes du Mexique mais de ces formations géologiques, ces gouffres et réseaux de grottes noyés par l’eau de mer lors de la dernière glaciation. Une spécialité d’Andros qui voit défiler ici les plongeurs spéléo les plus aguerris en quête d’exploration de tous les dangers. Les trous bleus peuvent être localisés soit en mer, soit à l’intérieur des terres.
Nous avons atteint –44 mètres sous terre sans nous en apercevoir…
Nous avons eu la curiosité de plonger dans le trou bleu que les Bahaméens surnomment The Guardian : un effondrement naturel sur plusieurs centaines de mètres dans le centre de l’île.
J’ai eu la chance de pouvoir photographier ce trou bleu cinq jours plus tard depuis un petit avion quatre places piloté par le propriétaire de notre hôtel, Jeff Birch, ce qui me permet de vous le montrer. Nous avions fait un premier survol la veille de la plongée que je raconte ci-dessous. Même si le ciel était couvert, Jeff ayant enlevé la porte côté passager les quelques photos que j’ai pu prendre montrent clairement ces trous géants perçant le sol d’Andros en autant de perles bleues dans une végétation touffue (voir l’une de ces photos publiée ci-dessous).
Quelques jours plus tard en quittant l’île d’Andros pour rejoindre Nassau, j’ai profité d’un rayon de soleil éclatant au moment où Jeff nous désignait du doigt ce trou bleu dans lequel nous avions plongé : cette photo placée en tête de cet article montre le trou bleu The Guardian. C’est aussi l’une des photos que je vends le plus régulièrement depuis 2004 !
Mais revenons à cette plongée dans le trou bleu.
Sur terre on jurerait un lac bien rond : il faut s’y rendre en voiture puis parcourir à pied sur quelques centaines de mètres un chemin pierreux entre des arbustes griffus, bi-bouteilles sur le dos et matos dans les bras. Une petite séquence de progression vite filmée par Pierre Stine, notre réalisateur, qui vole des images parfaites d’authenticité lorsque nous trébuchons ou soufflons sous le soleil.
Léger brief par le moniteur local, dernières recommandations de l’animateur qui peut s’enorgueillir de kilomètres de réseau noyé à son actif et d’un record du monde en la matière, puis mise à l’eau en douceur depuis une rive caillouteuse hérissée de buissons bas.
Nous avons du modifier nos lestages respectifs puisque nous plongeons en eau saumâtre (mi-douce mi-salée) dans ce puit sans fond alimenté en eau de mer et par les nappes phréatiques alentours.
En surface, l’eau paraît ambrée, d’une délicate teinte dorée sous un soleil accablant. Sous la surface par contre, changement de perception : les 50 premiers centimètres sont translucides et légèrement frais pourtant nous avons des difficultés à voir le bout de nos palmes ! Nous planons dans de l’eau claire mais trouble avec le sentiment désagréable d’avoir la vue brouillée : l’eau et le sulfure d’hydrogène se mêlent en une couche d’environ 2 ou 3 mètres de haut dans une teinte d’un beau vert fluo qu’il faut traverser pour retrouver des eaux limpides et transparentes…
En prime, un goût nauséabond envahit nos détendeurs : un léger relent d’œuf pourri !
Dès que nos lestages sont confirmés nous sommes entraînés par le moniteur expérimenté à l’intérieur d’une faille au fond de l’immense vasque : il s’engouffre en tête, suivi par notre cameraman puis par Francis. Je ferme la marche en braquant les 400 watts que je tiens à bout de bras pour découper la silhouette de l’animateur en contre-jour.
Nous progressons lentement dans un boyau étroit, l’un derrière l’autre, dans un noir d’encre à peine troublé par les rayons lumineux de nos éclairages. Le temps suspend son vol… et la magie opère en ce lieu où l’on se sent aveugle et sourd. Autant en mer nous entendons beaucoup de bruit, autant ici en ce monde clos on ne perçoit que le son de notre respiration et celui de nos bulles qui s’échappent du détendeur.
Survol de l’île d’Andros aux Bahamas pour photographier les trous bleus à l’intérieur des terres, sous un ciel couvert.
Ce n’est pas ma première plongée spéléo, mais celle-ci est particulière du fait de l’étroitesse du boyau souterrain dans lequel nous évoluons. Ici pas de courant dangereux, pas de température extrême, le danger vient surtout des parois qu’il vaut mieux ne pas frotter. Or mes bras fatiguent rapidement à tendre les phares d’éclairage droit devant moi tout en me recroquevillant au maximum pour que le cadreur n’aperçoive pas ma silhouette derrière celle de sa vedette. Je redouble d’attention et de prudence.
Les parois sont couvertes de sédiments qui se diluent comme de la glaise grise au moindre effleurement. Un film en noir et blanc, au plus petit attouchement nous prenons le risque d’évoluer dans du lait grisâtre !
Didier Noirot filme longuement des fossiles, coquilles incrustées depuis des millénaires sur les parois de ce long tunnel qui n’en finit pas…
Au bout de longues minutes qui n’en ont pas l’air – et grand explorateur des gouffres noyés tout autant que chef d’expédition aguerri – Francis vérifie son ordinateur de plongée puis nous fait signe à tous qu’il faut songer à remonter. Je l’imite et constate avec stupeur que nous sommes déjà dans l’eau depuis plus de 30 minutes et que nous avons atteint –44 mètres sous terre sans nous en apercevoir !
Demi-tour dès que le boyau s’élargit un tant soit peu, contorsion rendue malaisée par le Néoprène qui engonce et le matériel qui handicape.
Cette fois je mène en tête puisque pour l’instant il est impossible à quiconque de me dépasser dans cet étroit siphon.
Je prends plaisir à observer les parois d’un peu plus près, à chercher des indices de vie d’une autre ère dans ce monde hostile constitué d’ombres chinoises et d’eau froide. Jusqu’à ce qu’une secousse ne m’arrête, le moniteur a réussi à se glisser jusqu’à moi et me fait signe que je me suis trompée : dans le noir, sans fil d’Ariane, je partais sur une ouverture à droite alors qu’il fallait prendre celle de gauche !
J’étais pourtant sûre de ne pas m’être trompée !…
Sans son expérience et sans sa connaissance du site je conduisais la petite équipe de tournage sur un cul-de-sac et nous aurions perdu un temps précieux en autonomie en faisant demi-tour… C’est à cela que servent les guides (et les fils d’Ariane…).
Vous qui partez sans savoir, faites confiance aux professionnels et conservez l’humilité des débutants. On ne sait pas tant que l’on n’a pas vécu…
(extrait de mon journal de plongeuse, décembre 2004)
Envie d’en apprendre davantage sur mes 5 voyages aux Bahamas ? Voici quelques pistes à explorer :
- Mes nombreux articles sur les îles des Bahamas
- Mes photos sur les Bahamas : chez 500px, et Getty Images, mais bien davantage chez Picfair pour des tirages photos, et désormais sur ma propre galerie pour des tirages photos ou des objets dérivés : https://marie-ange-ostre.pixels.com/
- Partir pour les Bahamas avec : Corsair
- Naviguer en catamaran dans les Abacos : Mooring’s
- Davantage d’informations : office du tourisme des îles des Bahamas (en français)
- J’ai testé et je vous recommande les hôtels : Atlantis The Cove (Paradise Island), Big Game Club (Bimini), Cape Santa Maria (Long Island), Compass Point (New Providence), Coral Sands (Harbour Island), Fernandez Bay Village (Cat Island), Four Seasons The Ocean Club (Paradise Island), Graycliff (Nassau, New Providence), Paradise Bay (Exuma), Pineapple Fields (Eleuthera), Pink Sands (Harbour Island), Small Hope Bay Lodge (île Andros), Stella Maris (Long Island), et Tranquillity on The Bay (Crooked Island).
Blogueuse voyage depuis 2004, auteure, photographe, éditrice du magazine Repérages Voyages (en ligne, gratuit). Française, j’ai exploré 82 pays au fil des ans et vécu en différents endroits de notre belle planète (La Réunion, île Maurice, Suisse, Indonésie, Espagne). Très attachée au ton « journal de bord » plutôt qu’à une liste d’infos pratiques. Mon objectif ? Partager mes expériences de voyages avec ceux qui n’ont pas la possibilité de partir aussi souvent.
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