Mon séjour sur l’île hôtel de Halaveli s’achève. Mais avant de quitter les Maldives pour rentrer vers l’Europe je vais faire l’une des plus belles plongées de l’archipel, une plongée sur Bathala.
Quand Santana, dive master au centre de plongée TGI Diving, m’a annoncé à 15h que nous allions plonger sur le site de Bathala Thila, j’ai caché mon désappointement. Ayant exploré le site de Bathala House Reef deux jours auparavant, j’ai pensé « encore un centre qui fait trois plongées sur le même site en promenant ses plongeurs chaque fois dans l’autre sens pour qu’ils aient l’impression de voir quelque chose de différent« . Quelle mauvaise langue… Et je m’en veux de l’avoir pensé très fort.
Sur le bateau, le brief de Santana décrit le sens du courant, la profondeur maximum, les poissons que nous pourrions rencontrer sous l’eau. Quand, à l’abri des oreilles du Coréen qui sera mon binôme aujourd’hui, je demande à Santana si cette plongée est vraiment différente de celle d’il y a deux jours, il a un sursaut et m’assure : « je t’ai montré la partie du tombant et le plateau, aujourd’hui je te montre un autre récif immergé avec une forêt de coraux et du gros poisson, tu verras c’est un site totalement différent.« .
Je décide de faire confiance à ce dive master qui depuis le début de mes plongées sur l’île de Halaveli s’efforce de me montrer tout ce qu’il y a à voir à quelques miles à la ronde. Or, jusqu’à présent je vais de surprise en surprise.
Donc, vingt-cinq minutes plus tard, j’enfile la combinaison 3mm, j’ajuste les palmes, l’ordi et le masque, et je le suis dans un saut droit confiant. Nous nous retrouvons en surface, le temps de vérifier si mon binôme Coréen va bien, puis nous descendons dans l’élément liquide…
Aussitôt je pense « encore ! » : me voici noyée dans un véritable nuage de petits balistes bleus, aussi fou furieux qu’une classe d’adolescents dont la testostérone ferait des ravages au printemps ! Joliment maquillés de bleu de Deft et d’un timide bleu pâle, bec en avant, ils virevoltent en tous sens et s’agitent comme des forcenés.
J’ai à peine le temps de porter la main à mon masque pour décompresser les oreilles que Santana est pris de convulsion ! Il montre du bras tendu et se retourne vers nous pour s’assurer que nous lui portons quelque attention. Avant de regarder la direction qu’il indique, je jette un oeil sur mon binôme qui ne bronche pas, à deux mètres de moi, en position stationnaire. Je me tourne donc vers Santana qui me jette un regard quasi désespéré sous son masque. Tout en décompressant, je me laisse couler pour le rejoindre trois mètres plus bas et je suis son doigt tendu vers le grand bleu : un thon !
Très gros !…
Un vrai gros thon.
Un thon qui traverse un groupe de gros poissons que je ne réussis pas à identifier, n’en ayant jamais vu auparavant ! Mais quand je parle de gros poissons, il s’agit d’espèces qui doivent peser leurs 12 kg pièce ! Et le thon fait bien trois fois cette taille… Mais contrairement à ses congénères, le thon prend son temps. On sent qu’il chasse, qu’il hume, qu’il cherche la proie idéale. Et ici, je comprends qu’il prenne son temps : c’est table ouverte !…
Comme la veille sur le site incroyable de Fish Head, je suis immergée dans une foule à écailles, des poissons qui volent en tous sens, percutant ma main gauche, ou mon épaule droite, comme désarçonnés par notre présence dans l’eau, et ayant mieux à faire que de s’irriter de notre irruption dans leur monde. Mais où courent-ils donc ?!…
Lentement nous descendons le long d’un tombant sur quelques centaines de mètres. Je croise un ange empereur à masque bleu, toujours aussi élégant dans sa livrée étincelante, et je regrette vivement de n’avoir pas d’appareil photo à ma portée.
Santana nous montre une petite murène verte qui baille aux corneilles, museau pointé vers sa main qu’il éloigne prudemment. Puis nous heurtons un véritable mur de poissons de verre. J’ai fait des séances photo avec des poissons de verre, en Indonésie, et notamment pendant mes plongées à Bali. Mais ceux-là sont nettement plus gros. Tellement gros qu’ils pourraient bien ne plus être de verre…
Plus loin, un énorme blanc de fusilliers néons à ventre écarlate file en flèche vers un point indéterminé. Je me retourne juste à temps pour voir les six carangues qui les poursuivent dents en avant ! Séquence prédation comme dirait…
Nous continuons à descendre et je dénombre les espèces : poisson coffre pintade piqueté de jaune sur sa robe bouteille, ange royal et ses rayures haute couture, poissons papillons plus gros que nature (mais pourquoi les poissons sont-ils tous plus gros aux Maldives ? À quel régime fonctionnent-ils ?!), poissons trompettes s’offrant une plancton-party avec des poissons aiguilles presque translucides,…
Ce n’est plus une plongée, c’est un inventaire !
Je m’intéresse alors à cette débauche de coraux de formes et de couleurs variées quand du coin de l’oeil je vois Santana faire signe vers le fond : sur le sable, couché sur le ventre, gît un beau requin pointe blanche…
Non, pas un. Deux.
Ah non ! Trois !…
Je vérifie si mon nouvel ami Coréen les a bien vus, et Santana en fait autant. Mais l’impassible Asiatique se tient légèrement en retrait, au-dessus de nous, mains croisés sur le ventre, sans broncher. À tel point que je me demande s’il a bien vu les requins…
Nous repartons en exploration le long du tombant. Là un petit nudibranche, ici une murène javanaise d’un petit mètre de long, ailleurs des poissons clowns sur une anémone à bulbes particulièrement appréciée des photographes sous-marins. Tout autour de nous c’est le même ballet incessant de poissons en goguette qui me font penser à un nid de fourmis en bataille !
Nouvelle agitation dans le bleu : des lutjans nous dépassent à toute vitesse, des poissons de verre filent dans l’autre sens, et apparaissent deux autres thons, plus petits que le premier. C’est notre jour de chance !
Quelques minutes plus tard, Santana montre d’un bras moins excité un beau requin qui ondule sur le fond de sable clair. Nous nous rapprochons un peu pour mieux l’observer et Santana en montre un autre. Puis sur la droite j’aperçois un troisième compère, suivi d’un autre : je fais le signe 4 à Santana qui opine du bonnet. Et nous regardons notre Coréen, flegmatique.
Le long du tombant c’est un nouvel enchantement. J’avais entendu parler d’une forêt de corail noir sur ce versant, il s’agit en fait d’une véritable forêt de corail tubastrea micrantha. Si je me permets de faire la différence c’est qu’à l’île Maurice on en trouve également de beaux spécimens sur quelques sites, et j’ai donc appris à les reconnaître puisque je les photographiais beaucoup. Ici aux Maldives sur le site de Bathala Thila, ce corail est du même vert feuille, et la plupart des polypes sont largement ouverts dans le léger courant qui nous freine un peu depuis le début de cette magnifique errance dans le bleu. Tout cela ressemble à un gigantesque bouquet de fleurs d’un jaune délicat agrippées à des branches dodues d’un vert velouté. Je ne sais pourquoi je songe aux cerisiers en fleurs au pays du soleil levant…
Madrépores, éponges encroûtantes, gorgones, porites,… toute la flore (et la faune) explose en mille couleurs pour mieux se confondre avec les kyrielles de balistes qui broutent ici et là. Curieusement je ne vois pas autant de poissons perroquets, ou sont-ils noyés dans la masse à tel point que je ne les vois plus ?
Coris piquetés, centropyges violets, poissons chirurgiens fébriles, nasons aux lèvres tendues, balistes rebondis et autres girelles agiles, la plupart se promènent en bancs serrés, ou au moins en petits groupes. Même les poissons-clowns se multiplient à l’infini sur la même anémone. Le faisceau de ma lampe accroche la livrée vermillon d’un mérou à pois jaunes assoupi entre les branches d’un arbre de corail. Ailleurs c’est un mérou miel qui se défile pour aller planquer sur le territoire d’un autre. Ici, le logement est en crise et les poissons squattent !
Et en parlant de mérou, cinq mètres plus bas, un spécimen de taille respectable, presque aussi long que moi, se déhanche mollement, lèvres siliconées et gras sur les hanches. Malgré son allure lascive, il est suffisamment intelligent pour avoir su prendre de l’âge sans jamais avoir craqué sur les appâts tendus au bout d’un hameçon…
Je glisse le long de la paroi, admirant sans contrainte les éponges encroûtantes, les petites gorgones sur lesquelles s’agglutinent des crinoïdes aux franges sombres, et les branches magenta d’un bouquet de gorgones menella.
Dans une petite grotte au plafond tapissé d’éponges roses je m’obstine à chasser un nuage protecteur de poissons de verre, et je découvre un gros arothron femelle qui s’apprête sans doute à pondre dans une relative intimité : immobile dans le noir, elle flotte à 10 cm du fond de sable, le ventre visiblement gonflé d’une portée de bébés poissons ballons… Je la trouve attendrissante avec son gros oeil rond qui me fixe l’air de dire « on m’a laissée toute seule, où est passé le père ?« . J’éteins ma lampe et la laisse attendre les premières douleurs dans une obscurité rassurante.
Hors de la grotte c’est un banc d’une cinquantaine de platax qui remonte vers la surface, de gros platax aux flancs d’argent ruisselant sous le soleil qui perce en quelques rayons obliques. Quelques-uns d’entre eux sont suivis par une nuée de tout petits labres bleus qui volètent autour de leurs branchies, habiles nettoyeurs gourmands.
Je suis Santana qui remonte lentement vers le plateau de corail sur lequel nous passons vingt bonnes minutes à jouer avec un tapis d’anémones à perte de vue. Des poissons-clowns y sèment une joyeuse pagaille, par couples assortis. De minuscules spécimen s’agitent convulsivement jusqu’à attirer mon attention et je tombe en arrêt : j’ai sous les yeux la plus étonnante des anémones que j’aie jamais vue ! De couleur rouille, cette anémone à bulbe secoue sa crinière fauve à intervalles réguliers, se laissant aller mollement à la douce houle des dix mètres dans lesquels nous évoluons maintenant, à peine perturbée par la danse frénétique de ces poissons-clown, minuscules alevins bicolores totalement indisciplinés. Je surveille la nurserie quelques minutes, le temps de penser que ma photographe sous-marin préférée passerait des heures sur ce site pour découvrir les petites crevettes translucides qui jouent des pinces pour m’effrayer… Hélène, cette plongée est un paradis pour photographes sous-marins, il faut venir ici !
C’est un baliste picasso à gros pois blancs qui me tire de ma contemplation, et je file retrouver Santana au palier. Mais mon dive master n’est pas seul : une ÉNORME carangue croise autour de lui, à bonne distance. Je n’ai jamais vu une carangue d’une telle taille même si on m’en a décrite à l’île Maurice. Je suis sidérée… Jusqu’à ce qu’un autre gros requin passe sous nos palmes, puis un deuxième plus jeune, entre sable et palier. Quelques ronds et puis s’en vont…
Il est temps pour nous de remonter sur le bateau. Cinquante-huit minutes d’immersion, pour une profondeur atteinte à 28,8 mètres de fond. Sur le site de Bathala j’ai vécu une plongée d’une incroyable richesse, avec des rencontres inédites, et des surprises toutes les cinq minutes.
Pourquoi ai-je attendu aussi longtemps avant de revenir enfin aux Maldives ?…
Les fantastiques plongées sous-marines que j’ai eu la chance de faire cette semaine avec le centre TGI Diving m’ont réconciliée avec cette destination qui m’avait déçue lors de mon premier séjour sur l’île de Kuredu au réveillon de l’an 2000. Comme quoi la réussite de vos vacances tient parfois pour beaucoup à l’hôtel qui vous accueille.
Voilà… après mon retour pour quatre jours à Paris me voici de nouveau loin de chez moi, dans la médina de Marrakech au Maroc.
Mais même en respirant le parfum douceâtre des épices et en profitant de la lumière dorée de fin de journée, je ne peux oublier cette plénitude ressentie au cours de cette plongée aux Maldives sur le site de Bathala.
Il faut que je re-plonge. Très vite !…
Envie d’en apprendre davantage sur mes voyages aux Maldives ? Voici quelques pistes à explorer :
Cet article a été publié une première fois en mai 2009 sur mon blog de voyages Un Monde Ailleurs (2004-2014), blog qui n’est plus en ligne aujourd’hui. Les articles re-publiés sur ce site le sont s’ils présentent à mes yeux une valeur émotionnelle ou s’ils offrent un intérêt informatif pour mes lecteurs. Ils sont rassemblés sous le mot-clé « Un Monde Ailleurs ». J’ai ajouté davantage de photos à ces articles en les re-publiant mais malheureusement il a été impossible de réintégrer les commentaires liés à ces articles, seul le nombre de commentaires est resté indiqué.
Rédiger et illustrer un site web ou un blog représente des heures, des années de travail. Prélever sur Internet sans autorisation préalable des photos ou des textes (tout ou partie) est une violation des droits d’auteur. Des outils permettent de dénicher facilement les « emprunteurs » et de les poursuivre (dans le pire des cas), ce sont d’ailleurs souvent les lecteurs qui nous alertent. Si vous souhaitez utiliser un extrait d’article ou une photo n’hésitez pas à demander depuis la page Contact sur ce site. Merci pour votre compréhension.
Blogueuse voyage depuis 2004, auteure, photographe, éditrice du magazine Repérages Voyages (en ligne, gratuit). Française, j’ai exploré 82 pays au fil des ans et vécu en différents endroits de notre belle planète (La Réunion, île Maurice, Suisse, Indonésie, Espagne). Très attachée au ton « journal de bord » plutôt qu’à une liste d’infos pratiques. Mon objectif ? Partager mes expériences de voyages avec ceux qui n’ont pas la possibilité de partir aussi souvent.
Mon séjour sur l’île hôtel de Halaveli s’achève. Mais avant de quitter les Maldives pour rentrer vers l’Europe je vais faire l’une des plus belles plongées de l’archipel, une plongée sur Bathala.
Quand Santana, dive master au centre de plongée TGI Diving, m’a annoncé à 15h que nous allions plonger sur le site de Bathala Thila, j’ai caché mon désappointement. Ayant exploré le site de Bathala House Reef deux jours auparavant, j’ai pensé « encore un centre qui fait trois plongées sur le même site en promenant ses plongeurs chaque fois dans l’autre sens pour qu’ils aient l’impression de voir quelque chose de différent« . Quelle mauvaise langue… Et je m’en veux de l’avoir pensé très fort.
Sur le bateau, le brief de Santana décrit le sens du courant, la profondeur maximum, les poissons que nous pourrions rencontrer sous l’eau. Quand, à l’abri des oreilles du Coréen qui sera mon binôme aujourd’hui, je demande à Santana si cette plongée est vraiment différente de celle d’il y a deux jours, il a un sursaut et m’assure : « je t’ai montré la partie du tombant et le plateau, aujourd’hui je te montre un autre récif immergé avec une forêt de coraux et du gros poisson, tu verras c’est un site totalement différent.« .
Je décide de faire confiance à ce dive master qui depuis le début de mes plongées sur l’île de Halaveli s’efforce de me montrer tout ce qu’il y a à voir à quelques miles à la ronde. Or, jusqu’à présent je vais de surprise en surprise.
Donc, vingt-cinq minutes plus tard, j’enfile la combinaison 3mm, j’ajuste les palmes, l’ordi et le masque, et je le suis dans un saut droit confiant. Nous nous retrouvons en surface, le temps de vérifier si mon binôme Coréen va bien, puis nous descendons dans l’élément liquide…
Aussitôt je pense « encore ! » : me voici noyée dans un véritable nuage de petits balistes bleus, aussi fou furieux qu’une classe d’adolescents dont la testostérone ferait des ravages au printemps ! Joliment maquillés de bleu de Deft et d’un timide bleu pâle, bec en avant, ils virevoltent en tous sens et s’agitent comme des forcenés.
J’ai à peine le temps de porter la main à mon masque pour décompresser les oreilles que Santana est pris de convulsion ! Il montre du bras tendu et se retourne vers nous pour s’assurer que nous lui portons quelque attention. Avant de regarder la direction qu’il indique, je jette un oeil sur mon binôme qui ne bronche pas, à deux mètres de moi, en position stationnaire. Je me tourne donc vers Santana qui me jette un regard quasi désespéré sous son masque. Tout en décompressant, je me laisse couler pour le rejoindre trois mètres plus bas et je suis son doigt tendu vers le grand bleu : un thon !
Très gros !…
Un vrai gros thon.
Un thon qui traverse un groupe de gros poissons que je ne réussis pas à identifier, n’en ayant jamais vu auparavant ! Mais quand je parle de gros poissons, il s’agit d’espèces qui doivent peser leurs 12 kg pièce ! Et le thon fait bien trois fois cette taille… Mais contrairement à ses congénères, le thon prend son temps. On sent qu’il chasse, qu’il hume, qu’il cherche la proie idéale. Et ici, je comprends qu’il prenne son temps : c’est table ouverte !…
Comme la veille sur le site incroyable de Fish Head, je suis immergée dans une foule à écailles, des poissons qui volent en tous sens, percutant ma main gauche, ou mon épaule droite, comme désarçonnés par notre présence dans l’eau, et ayant mieux à faire que de s’irriter de notre irruption dans leur monde. Mais où courent-ils donc ?!…
Lentement nous descendons le long d’un tombant sur quelques centaines de mètres. Je croise un ange empereur à masque bleu, toujours aussi élégant dans sa livrée étincelante, et je regrette vivement de n’avoir pas d’appareil photo à ma portée.
Santana nous montre une petite murène verte qui baille aux corneilles, museau pointé vers sa main qu’il éloigne prudemment. Puis nous heurtons un véritable mur de poissons de verre. J’ai fait des séances photo avec des poissons de verre, en Indonésie, et notamment pendant mes plongées à Bali. Mais ceux-là sont nettement plus gros. Tellement gros qu’ils pourraient bien ne plus être de verre…
Plus loin, un énorme blanc de fusilliers néons à ventre écarlate file en flèche vers un point indéterminé. Je me retourne juste à temps pour voir les six carangues qui les poursuivent dents en avant ! Séquence prédation comme dirait…
Nous continuons à descendre et je dénombre les espèces : poisson coffre pintade piqueté de jaune sur sa robe bouteille, ange royal et ses rayures haute couture, poissons papillons plus gros que nature (mais pourquoi les poissons sont-ils tous plus gros aux Maldives ? À quel régime fonctionnent-ils ?!), poissons trompettes s’offrant une plancton-party avec des poissons aiguilles presque translucides,…
Ce n’est plus une plongée, c’est un inventaire !
Je m’intéresse alors à cette débauche de coraux de formes et de couleurs variées quand du coin de l’oeil je vois Santana faire signe vers le fond : sur le sable, couché sur le ventre, gît un beau requin pointe blanche…
Non, pas un. Deux.
Ah non ! Trois !…
Je vérifie si mon nouvel ami Coréen les a bien vus, et Santana en fait autant. Mais l’impassible Asiatique se tient légèrement en retrait, au-dessus de nous, mains croisés sur le ventre, sans broncher. À tel point que je me demande s’il a bien vu les requins…
Nous repartons en exploration le long du tombant. Là un petit nudibranche, ici une murène javanaise d’un petit mètre de long, ailleurs des poissons clowns sur une anémone à bulbes particulièrement appréciée des photographes sous-marins. Tout autour de nous c’est le même ballet incessant de poissons en goguette qui me font penser à un nid de fourmis en bataille !
Nouvelle agitation dans le bleu : des lutjans nous dépassent à toute vitesse, des poissons de verre filent dans l’autre sens, et apparaissent deux autres thons, plus petits que le premier. C’est notre jour de chance !
Quelques minutes plus tard, Santana montre d’un bras moins excité un beau requin qui ondule sur le fond de sable clair. Nous nous rapprochons un peu pour mieux l’observer et Santana en montre un autre. Puis sur la droite j’aperçois un troisième compère, suivi d’un autre : je fais le signe 4 à Santana qui opine du bonnet. Et nous regardons notre Coréen, flegmatique.
Le long du tombant c’est un nouvel enchantement. J’avais entendu parler d’une forêt de corail noir sur ce versant, il s’agit en fait d’une véritable forêt de corail tubastrea micrantha. Si je me permets de faire la différence c’est qu’à l’île Maurice on en trouve également de beaux spécimens sur quelques sites, et j’ai donc appris à les reconnaître puisque je les photographiais beaucoup. Ici aux Maldives sur le site de Bathala Thila, ce corail est du même vert feuille, et la plupart des polypes sont largement ouverts dans le léger courant qui nous freine un peu depuis le début de cette magnifique errance dans le bleu. Tout cela ressemble à un gigantesque bouquet de fleurs d’un jaune délicat agrippées à des branches dodues d’un vert velouté. Je ne sais pourquoi je songe aux cerisiers en fleurs au pays du soleil levant…
Madrépores, éponges encroûtantes, gorgones, porites,… toute la flore (et la faune) explose en mille couleurs pour mieux se confondre avec les kyrielles de balistes qui broutent ici et là. Curieusement je ne vois pas autant de poissons perroquets, ou sont-ils noyés dans la masse à tel point que je ne les vois plus ?
Coris piquetés, centropyges violets, poissons chirurgiens fébriles, nasons aux lèvres tendues, balistes rebondis et autres girelles agiles, la plupart se promènent en bancs serrés, ou au moins en petits groupes. Même les poissons-clowns se multiplient à l’infini sur la même anémone. Le faisceau de ma lampe accroche la livrée vermillon d’un mérou à pois jaunes assoupi entre les branches d’un arbre de corail. Ailleurs c’est un mérou miel qui se défile pour aller planquer sur le territoire d’un autre. Ici, le logement est en crise et les poissons squattent !
Et en parlant de mérou, cinq mètres plus bas, un spécimen de taille respectable, presque aussi long que moi, se déhanche mollement, lèvres siliconées et gras sur les hanches. Malgré son allure lascive, il est suffisamment intelligent pour avoir su prendre de l’âge sans jamais avoir craqué sur les appâts tendus au bout d’un hameçon…
Je glisse le long de la paroi, admirant sans contrainte les éponges encroûtantes, les petites gorgones sur lesquelles s’agglutinent des crinoïdes aux franges sombres, et les branches magenta d’un bouquet de gorgones menella.
Dans une petite grotte au plafond tapissé d’éponges roses je m’obstine à chasser un nuage protecteur de poissons de verre, et je découvre un gros arothron femelle qui s’apprête sans doute à pondre dans une relative intimité : immobile dans le noir, elle flotte à 10 cm du fond de sable, le ventre visiblement gonflé d’une portée de bébés poissons ballons… Je la trouve attendrissante avec son gros oeil rond qui me fixe l’air de dire « on m’a laissée toute seule, où est passé le père ?« . J’éteins ma lampe et la laisse attendre les premières douleurs dans une obscurité rassurante.
Hors de la grotte c’est un banc d’une cinquantaine de platax qui remonte vers la surface, de gros platax aux flancs d’argent ruisselant sous le soleil qui perce en quelques rayons obliques. Quelques-uns d’entre eux sont suivis par une nuée de tout petits labres bleus qui volètent autour de leurs branchies, habiles nettoyeurs gourmands.
Je suis Santana qui remonte lentement vers le plateau de corail sur lequel nous passons vingt bonnes minutes à jouer avec un tapis d’anémones à perte de vue. Des poissons-clowns y sèment une joyeuse pagaille, par couples assortis. De minuscules spécimen s’agitent convulsivement jusqu’à attirer mon attention et je tombe en arrêt : j’ai sous les yeux la plus étonnante des anémones que j’aie jamais vue ! De couleur rouille, cette anémone à bulbe secoue sa crinière fauve à intervalles réguliers, se laissant aller mollement à la douce houle des dix mètres dans lesquels nous évoluons maintenant, à peine perturbée par la danse frénétique de ces poissons-clown, minuscules alevins bicolores totalement indisciplinés. Je surveille la nurserie quelques minutes, le temps de penser que ma photographe sous-marin préférée passerait des heures sur ce site pour découvrir les petites crevettes translucides qui jouent des pinces pour m’effrayer… Hélène, cette plongée est un paradis pour photographes sous-marins, il faut venir ici !
C’est un baliste picasso à gros pois blancs qui me tire de ma contemplation, et je file retrouver Santana au palier. Mais mon dive master n’est pas seul : une ÉNORME carangue croise autour de lui, à bonne distance. Je n’ai jamais vu une carangue d’une telle taille même si on m’en a décrite à l’île Maurice. Je suis sidérée… Jusqu’à ce qu’un autre gros requin passe sous nos palmes, puis un deuxième plus jeune, entre sable et palier. Quelques ronds et puis s’en vont…
Il est temps pour nous de remonter sur le bateau. Cinquante-huit minutes d’immersion, pour une profondeur atteinte à 28,8 mètres de fond. Sur le site de Bathala j’ai vécu une plongée d’une incroyable richesse, avec des rencontres inédites, et des surprises toutes les cinq minutes.
Pourquoi ai-je attendu aussi longtemps avant de revenir enfin aux Maldives ?…
Les fantastiques plongées sous-marines que j’ai eu la chance de faire cette semaine avec le centre TGI Diving m’ont réconciliée avec cette destination qui m’avait déçue lors de mon premier séjour sur l’île de Kuredu au réveillon de l’an 2000. Comme quoi la réussite de vos vacances tient parfois pour beaucoup à l’hôtel qui vous accueille.
Voilà… après mon retour pour quatre jours à Paris me voici de nouveau loin de chez moi, dans la médina de Marrakech au Maroc.
Mais même en respirant le parfum douceâtre des épices et en profitant de la lumière dorée de fin de journée, je ne peux oublier cette plénitude ressentie au cours de cette plongée aux Maldives sur le site de Bathala.
Il faut que je re-plonge. Très vite !…
Envie d’en apprendre davantage sur mes voyages aux Maldives ? Voici quelques pistes à explorer :
Blogueuse voyage depuis 2004, auteure, photographe, éditrice du magazine Repérages Voyages (en ligne, gratuit). Française, j’ai exploré 82 pays au fil des ans et vécu en différents endroits de notre belle planète (La Réunion, île Maurice, Suisse, Indonésie, Espagne). Très attachée au ton « journal de bord » plutôt qu’à une liste d’infos pratiques. Mon objectif ? Partager mes expériences de voyages avec ceux qui n’ont pas la possibilité de partir aussi souvent.
Vous aimez ? N'hésitez pas à partager :
Articles similaires
Related posts
Cuisine des Maldives, soupe garudiya
Recette d’une infusion ayurvédique, Maldives
Témoignage vérité : les Maldives sans soleil