La majorité des touristes se rendent aux Bahamas pour les plages et le soleil, j’y suis en tant qu’éclairagiste sous-marin lors d’un tournage d’une série magazine dédiée à la plongée…
En ce matin de décembre nous sommes sur l’île d’Andros depuis deux jours, la plus grande et la plus sauvage de tout l’archipel des Bahamas pourtant peu de touristes viennent ici. Au programme à nouveau aujourd’hui : plongées dans un trou bleu aux Bahamas !
Nous plongeons deux fois par jour dans les trous bleus des Bahamas, nombreux autant à l’intérieur de l’île qu’en mer sur son pourtour : des trous bleus insondables qui font la réputation de l’île au niveau international.
Hier nous explorions l’intérieur de Guardian’s, le trou bleu que je survolerai dans quatre jours et que j’ai ainsi photographié depuis les airs. C’est l’une des photos que je vends le plus depuis lors. Ce fut aussi une superbe plongée, que je vous raconterai demain, mais laissez-moi d’abord vous emmener sur un autre site, immense, sobrement nommé The Blue Hole. J’en garde un souvenir… mouvementé !
Nous venons de plonger sur un tombant magnifique, The Wall, en nous arrêtant à –37 mètres de profondeur sans même pouvoir en apercevoir le fond. Quelques années plus tard je vivrais cette même sensation d’euphorie mêlée d’incertitude en plongeant sur le tombant vertigineux d’Elphinstone en Égypte (mer Rouge), un tombant très réputé, à couper le souffle, qui se perd dans le grand bleu d’où peuvent surgir des créatures redoutées.
Ce matin après la première plongée en remontant sur la barge du centre de plongée (le Small Hope Bay Lodge) nous avons constaté que la houle s’était levée, que l’Atlantique grondait, nous chahutant telles des boules de billard rebondissant l’une contre l’autre tandis que nous remplaçons nos bouteilles vides par des pleines pour nous préparer à la seconde plongée, quelques miles plus loin.
The Blue Hole est un trou bleu très réputé aux Bahamas : c’est un effondrement naturel d’un gouffre noyé en mer, et sachant qu’Andros attire chaque année des centaines de plongeurs accros à la grande descente tout en affichant des records de plongée profonde, notre équipe sous-marine décide d’un commun accord de se limiter pour cette deuxième plongée consécutive à –30 mètres maximum.
Sage précaution puisqu’en quelques minutes le vent s’est levé et le lagon au bord du trou bleu est totalement démonté. Il me rappelle le lagon de Trou aux Biches sur l’île Maurice au lendemain d’un cyclone que j’ai vécu en 2002. C’est à la fois beau, fort et majestueux.
Stimulant !
T’inquiètes, c’est le métier qui rentre !…
Plonger dans les trous bleus des Bahamas est un privilège qu’un centre sérieux de plongée sous-marine n’accorde pas à n’importe quel plongeur, ne serait-ce que par mesure de sécurité. C’est une plongée risquée, qui implique des conditions très particulières et nécessite de l’expérience, et un comportement responsable.
En attendant que Mike, notre dive master local, repère la bouée d’ancrage pour y arrimer notre barge, nous grelottons de froid, trempés par les murs d’eau qui s’abattent sur le pont… Sensible au mal de mer, et encore peu amarinée après seulement deux jours de plongée, je reconnais les premiers signes d’une nausée qui monte lentement.
Je m’efforce de fixer l’horizon mais celui-ci s’obstine à monter, descendre, monter, descendre au gré de la barge qui se cabre comme un cheval fou.
Mike a du mal à accrocher le bout à la bouée d’ancrage, mais enfin nous y sommes et je n’en suis pas mécontente : je sais que deux mètres sous la surface je me sentirai déjà mieux, et je vous le dis : je ne suis pas la dernière à me mettre à l’eau !
En surface, gilet gonflé, j’attends que l’on me passe l’énorme batterie d’éclairage sous-marin que je fixe à l’un des anneaux métalliques sur mon gilet. Puis le gros phare que j’attrape avec difficulté puisque la petite plateforme de bois manque de me fracasser le crâne au gré d’une vague furieuse…
Lestée d’un tel poids, je sonde très vite vers le fond pour rejoindre Didier Noirot qui est déjà en position quinze mètres plus bas, peaufinant ses réglages. Pour ceux qui ne le connaissent pas, Didier est l’un des plus grands professionnels de l’image sous-marine à ce jour, il sera nominé pour un Emmy Award à Los Angeles pour ses images exceptionnelles sur le film « Océans« . Il a travaillé sur le film « Planète Bleue« , et il a oeuvré aux côtés de Cousteau (la meilleure école).
C’est aussi et surtout un excellent plongeur, et un géant, une force de la nature, doté d’un caractère fort mais aussi d’une sensibilité et d’une gentillesse naturelles qui font de lui à mes yeux un gentil bougon. S’il me lit, je sais qu’il ronchonnera derrière son écran.
Une partie de l’équipe de tournage sur la barge de plongée : Pierre Stine (réalisateur) à gauche, Mike (dive master) au centre, et Didier Noirot (réalisateur sous-marin) à droite.
Lorsque je le rejoins sous l’eau dans cet immense trou bleu submergé Didier filme déjà la descente de l’animateur dans le bleu, puis il nous met en scène pour une séquence de déambulation sur le fond de sable à –20m, un fond couvert de petites gorgones sable à ossature mauve, de coraux de toutes les couleurs, des fonds typiques de ceux des Caraïbes dans lesquelles nous évoluons.
Nous passons donc en rang serré devant l’objectif de Didier, puis derrière une gorgone filaire au milieu d’un banc de poissons cochers peu farouches avant de piquer vers le fond dans un bel ensemble jusqu’à –25m.
De fil en aiguille nous nous faufilons dans des failles en essayant de ne pas soulever le fond crayeux, tandis que Didier se positionne systématiquement face à nous. Je fais de mon mieux pour l’éclairage et j’ai l’impression de ne pas m’en sortir trop mal puisqu’il ne s’énerve pas sous l’eau. Je reçois ses instructions calmes et précises par gestes et obtempère immédiatement.
Dois-je avouer que je suis impressionnée par le bonhomme ? Oui, je le suis. On m’a tant vanté ses qualités de professionnel que j’ai terriblement peur de décevoir. Et puis c’est le premier épisode de cette série auquel je participe en tant qu’éclairagiste sous-marin, le métier est tout neuf pour moi, je découvre.
Je suis très habituée à l’éclairage sous-marin pour de la photo, mais rien à voir cette fois puisqu’il s’agit d’un film, d’images en mouvement… Il faut se mouvoir sans être vue, éclairer sans qu’on vous voit à l’image. On ne peut comprendre que si l’on pratique.
Tandis que nous nous apprêtons à piquer encore plus bas sur les instructions de Didier, l’animateur en tête se retrouve face à un magnifique poisson-ange français qui virevolte complaisamment quelques minutes sous l’œil discret de la caméra, jouant de bonne grâce devant son masque, faisant miroiter ses écailles gris argent sous la lumière du phare, puis disparaissant comme il est venu, nonchalamment.
Nous sommes déjà à –37 mètres, plus bas que prévu… Sous l’objectif de la caméra nous entamons une remontée sur la petite plaine sableuse en pente douce au milieu d’éponges tubulaires jaune vif et autres éponges baril mandarine aux flancs rebondis.
Éclairant l’animateur à contre-jour (c’est-à-dire collée à ses palmes pour me dissimuler derrière lui afin que Didier ne capte que ma lumière qui détache la silhouette de Francis), je fais de mon mieux pour suivre sa progression vigoureuse lorsque je le percute soudain : Didier l’a rejoint en lui faisant un signe de détresse, il n’a plus d’air dans sa bouteille !
Tout professionnels soient-ils je constaterai au fur et à mesure des années à venir que les cadreurs sous-marin tombent souvent en panne d’air : concentrés sur les images à réaliser avec du matériel lourd, soumis à de gros efforts constants pour rester à la hauteur de leur sujet (plongeurs, faune), bloquant souvent leur respiration pour stabiliser l’image et reprenant ensuite leur respiration plus intensément pour récupérer, ils sont de gros consommateurs d’air qui ont l’habitude de terminer leurs plongées sur la bouteille d’un binôme, souvent l’assistant.
Francis lui tend son détendeur de secours (le fameux « octopus ») et Didier l’embouche fermement tout en agrippant la bretelle de son gilet stabilisateur pour rester à proximité. Le secouru se positionne en secourant, étrange image qui me fait sourire…
Cela sonne la fin de la plongée bien sûr, mais en regardant de nouveau mon ordi de plongée je constate que nous sommes dans l’eau depuis déjà quarante minutes pour cette seconde plongée de la matinée, concentrés sur la faune et la flore peu exubérantes mais bien diversifiée dans cet ample paysage sous-marin. Le trou bleu est si vaste ici que nous n’en aurons exploré que la lèvre supérieure…
Si la plongée s’est faite en douceur lorsque nous remontons au palier à –7m de fond nous subissons un beau courant qui nous oblige à nous accrocher à la corde de la bouée d’ancrage. Je m’amuse une minute à observer ces deux géants de la plongée si proches l’un de l’autre sur la corde, ils m’adressent chacun un clin d’œil amusé puis nous regardons machinalement vers la surface. Il faut bien occuper les 9 minutes de palier…
Pourtant…
Pour moi, c’est une mauvaise idée : sept mètres plus haut je vois le fond de la barge danser follement en surface et comme nous sommes chahutés au palier, la nausée revient plus rapidement qu’un barracuda sur sa proie !
Je m’efforce de respirer calmement (je suis toujours hyper calme sous l’eau) et d’expirer longuement tout en fixant le grand bleu loin devant moi. Mais mon estomac se tord, j’ai un premier hoquet que je réprime. Quand je sens venir le second, je sais que je ne pourrais rien faire d’autre que m’éloigner un peu de mes compagnons pour éviter que…
En hâte je contourne l’animateur qui est à mes côtés pour passer au-dessus de lui. Étant donné ma précipitation soudaine, il se retourne, tend une main vers moi par réflexe et j’ai juste le temps de me détourner pour qu’il ne me voit pas vomir dans mon détendeur !
Enfin, c’est ce que j’aurais aimé. Parce qu’évidemment, le contenu de mon estomac s’envole naturellement vers la surface pour le grand bonheur des petits sergents-majors qui nous tournent autour et y voient une mane inespérée ! Je fais au moins des heureux tandis qu’un second spasme me tord de douleur littéralement.
On ne vomit pas sous l’eau comme on vomit à l’air libre, il faut calculer l’instant avant de se laisser aller et les crampes d’estomac sont beaucoup plus douloureuses sous l’eau. Indescriptible.
Deux larmes de douleur roulent sous le masque tandis que je sens deux mains m’agripper, une à l’épaule, l’autre au poignet. Une minute de détresse sous le regard de deux pros, j’ai honte. Mais ça se calme…
Sans me retourner je fais signe d’un geste que tout va bien et l’une des deux poignes me quitte. Plus que trois minutes de palier… C’est interminable mais je m’obstine à ne plus regarder la surface. Nous montons doucement à -3 mètres pour patienter encore. Les paliers sont toujours plus longs après des plongées consécutives, et des plongées longues ou profondes.
Quand enfin nos ordinateurs nous indiquent que nous pouvons remonter en surface nous sommes balayés comme des bouchons sur une houle sévère : le fond de la barge frappe l’eau violemment chaque fois qu’elle retrouve le contact. En moins de quelques secondes je me retrouve à proximité de l’une des hélices du bateau, heureusement au point mort.
Mike est seul à bord et il a quelques difficultés à maintenir son équilibre tout en faisant ce qu’il peut pour nous aider à remonter (à compter de ce jour nous aurons toujours au moins deux personnes à bord). Or, une équipe de tournage sous-marin est plus lente à s’extraire de l’eau, du fait du matériel encombrant, lourd et très onéreux qu’il faut d’abord remonter à bord pour le sécuriser.
Consciente du danger potentiel, je palme énergiquement pour rester à la hauteur de la coque du bateau et j’approche de l’échelle quand je me sens soudain fortement poussée en avant depuis le talon de ma palme droite : l’effet propulseur de Didier qui vient à ma rescousse, son lourd caisson en bandoulière !…
Agrippée d’une main à un échelon, je fais de mon mieux (avec mes gants) pour détacher le mousqueton qui relie la lourde batterie à mon gilet pour pouvoir me libérer de l’encombrement de mon phare relié à ladite batterie… C’est cela où remonter toute équipée mais c’est littéralement impossible en de telles conditions d’autant que j’essaie aussi désespérément d’éviter tout choc brutal sur le phare très fragile !
Libérée de la batterie puis du phare que Mike attrape pour le sécuriser en bonne place j’agrippe l’échelle à deux mains cette fois et me hisse d’un coup pour atterrir brutalement sur les genoux au moment où la barge s’abat sur l’eau après une vague particulièrement traître. Je ploie sous le poids de ma bouteille, mes reins accusent le choc.
J’ôte rapidement mon gilet puis je le traîne à genoux avec la bouteille jusqu’au casier qui me permet de la bloquer sur cette saleté de bateau qui continue à danser comme une coquille de noix sur de l’eau en ébullition.
Puis je file à quatre pattes vers Francis toujours dans l’eau qui me tend son phare puis ses palmes et c’est à genoux que j’attends Didier qui s’approche à son tour. Il pousse son caisson par-dessous tandis que je le hisse au-dessus des flots mais c’est la poigne de l’animateur par-dessus mon épaule qui l’emporte aussitôt vers le poste de pilotage.
Didier jette ses palmes au petit bonheur dans la barge puis agrippe l’échelle et se hisse à bord dans un grand sourire carnassier avant de résumer la situation à sa façon : « p… ! ».
Nous nous réfugions tous les trois au fond de la barge, près de Mike qui vient de détacher le bout de la bouée d’ancrage et tandis qu’il lance les moteurs Didier me dit finaud : « dis-moi ce sont tes œufs brouillés que j’ai vu passer au palier ?…« .
Nous éclatons de rire tous les trois puis il ajoute dans un sourire lent : « t’inquiètes, c’est le métier qui rentre !…« .
De fait, aux yeux de ces champions de la plongée sous-marine en cette fin décembre 2004 je ne suis encore qu’une plongeuse débutante avec mes 300 plongées à mon actif, essentiellement effectuées dans les eaux de l’île Maurice et de La Réunion. Je commence tout juste à plonger pour assumer des missions professionnelles, les années à suivre me projetteront dans des expériences sous-marines d’exception, l’occasion de m’aguerrir bien davantage jusqu’à ne plus craindre les circonstances mouvementées.
Mike (dive master) à gauche, et Didier Noirot (réalisateur sous-marin) à droite, après la première plongée du même jour.
Quand Mike lance le moteur à fond, la barge s’élance au-dessus des vagues et c’est le froid qui nous surprend. Nous échangeons un regard puis nous nous jetons sur nos sacs à dos pour y pêcher chacun son K-way et l’enfiler par-dessus notre combi 3 mm trempée. Au moins, ça coupe du vent. Qui l’eut cru nécessaire aux Bahamas ?!…
Les hommes se placent gentiment devant moi pour faire écran de leur large carrure et Didier me glisse en hurlant dans le vent : « tu te débrouilles pas mal en lumière, on regardera les rushs ce soir et je t’expliquerai des trucs« . Ça me met en confiance, et puis cela fait plaisir à la débutante que je suis.
Il nous faut vingt minutes pour rejoindre le ponton du centre de plongée. Dès que le bateau accoste, je suis la première à sauter dessus pour retrouver la terre ferme et d’un coup je me sens vidée. Rinçage scrupuleux du matériel et des combinaisons, puis nous réintégrons nos bungalows respectifs. Là… contrariété : tandis que, frigorifiés, nous comptions sur une bonne douche pour nous réchauffer rapidement, l’eau chaude tombe en carafe ! Pas d’eau chaude !…
Je râle, je peste, je vocifère… pourtant je subis le shampooing à l’eau froide (il paraît que c’est bon pour les cheveux !).
Trente minutes plus tard nous prenons un déjeuner tardif ; je n’ai pas très faim (tiens donc !) alors ce midi ce sera carottes râpées, rillettes de thon mayonnaise (j’adore, c’est monstrueux !) et daube de bœuf au cumin. Ce n’est qu’une tasse de chocolat chaud plus tard que je réussirai à me réchauffer.
L’équipe terrestre est partie une heure avant notre retour pour filmer des séquences d’illustration dans un village voisin, et lorsque Didier pose mollement la question d’une troisième plongée pour l’après-midi, nous nous retournons tous les trois vers la fenêtre pour jeter un regard au lagon démonté et l’animateur décide alors : « repos pour cet après-midi !« .
Ce qui ne fut pas du luxe !
(extrait de mon journal de plongeuse, 15 décembre 2004)
Envie d’en apprendre davantage sur mes 5 voyages aux Bahamas ? Voici quelques pistes à explorer :
- Mes nombreux articles sur les îles des Bahamas
- Mes photos sur les Bahamas : chez 500px, et Getty Images, mais bien davantage chez Picfair pour des tirages photos, et désormais sur ma propre galerie pour des tirages photos ou des objets dérivés : https://marie-ange-ostre.pixels.com/
- Partir pour les Bahamas avec : Corsair
- Naviguer en catamaran dans les Abacos : Mooring’s
- Davantage d’informations : office du tourisme des îles des Bahamas (en français)
- J’ai testé et je vous recommande les hôtels : Atlantis The Cove (Paradise Island), Big Game Club (Bimini), Cape Santa Maria (Long Island), Compass Point (New Providence), Coral Sands (Harbour Island), Fernandez Bay Village (Cat Island), Four Seasons The Ocean Club (Paradise Island), Graycliff (Nassau, New Providence), Paradise Bay (Exuma), Pineapple Fields (Eleuthera), Pink Sands (Harbour Island), Small Hope Bay Lodge (île Andros), Stella Maris (Long Island), et Tranquillity on The Bay (Crooked Island).
Blogueuse voyage depuis 2004, auteure, photographe, éditrice du magazine Repérages Voyages (en ligne, gratuit). Française, j’ai exploré 82 pays au fil des ans et vécu en différents endroits de notre belle planète (La Réunion, île Maurice, Suisse, Indonésie, Espagne). Très attachée au ton « journal de bord » plutôt qu’à une liste d’infos pratiques. Mon objectif ? Partager mes expériences de voyages avec ceux qui n’ont pas la possibilité de partir aussi souvent.
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